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Anguille européenne : quelle est l’efficacité du repeuplement ?

Premiers résultats d’une expérimentation aux Marais du Vigueirat (13)

Date de publication : 27/04/2015

Pour lutter contre le déclin de l’anguille européenne, le repeuplement est aujourd’hui de plus en plus utilisé. L’efficacité de cette mesure qui consiste à déplacer des juvéniles vers des milieux favorisant une forte production de reproducteurs est actuellement testée par la Tour du Valat, MRM et les Amis des Marais du Vigueirat dans la réserve nationale des marais du Vigueirat.

 

Un ancien nuisible sous haute protection

Longtemps considérée comme nuisible (jusqu’en 1984), aujourd’hui l’anguille européenne est classée par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) comme en danger critique d’extinction puisque depuis les années 80, c’est plus de 90% du stock qui a disparu. La complexité de son cycle fait qu’il est difficile d’identifier précisément les causes de ce déclin rapide. En effet, l’anguille européenne partage son cycle de vie entre le milieu marin et les milieux continentaux puisqu’elle se reproduit supposément dans la mer des Sargasses et qu’elle vient grandir dans les eaux continentales européennes et nord-africaines et est donc soumise aux pressions qui s’appliquent dans chacun de ces milieux.

Pour lutter contre cet effondrement du stock, l’Union Européenne a élaboré le règlement Européen n°1100 du 18 septembre 2007, qui a contraint les Etats membres à mettre au point un plan de gestion national visant une augmentation importante du nombre de reproducteurs partant en mer.

L’une des mesures phares de gestion consiste à réserver 60% des captures d’anguilles de moins de 12 cm (civelle et anguillette) à des fins de repeuplement.

Cependant l’efficacité de cette mesure pour augmenter le nombre de reproducteurs reste à ce jour inconnu.

 

Une expérimentation en Camargue

Depuis octobre 2007, l’Association Migrateurs Rhône-Méditerranée & la Tour du Valat en collaboration avec les Amis du Vigueirat (financements : Agence de l’eau, Régions Rhône-Alpes & PACA, CG13, FNPF) ont mis en place une expérimentation dans un petit marais d’eau douce, appelé Pisci Sud, situé dans le marais du Vigueirat pour déterminer les conditions qui permettent une efficacité optimale de cette mesure de gestion.

En effet plusieurs questions se posent : est-ce que le changement de milieu imposé par le repeuplement a des effets sur la croissance et/ou la mortalité des anguilles repeuplées ? Est-ce qu’il y a un stade optimal pour le repeuplement ? Quel va être l’effet du repeuplement sur le milieu où les individus vont être déplacés ?

Pour cela, des anguilles de différents stades (civelle, anguillette, anguille jaune) et milieux d’origine (eau douce ou saumâtre) ont été introduites dans Pisci Sud et suivies par marquage-recapture afin d’identifier comment ces différences peuvent impacter la production de reproducteurs et ainsi proposer des outils d’aide à la gestion adaptés.

 

Des premiers résultats

Les premiers résultats semblent montrer que l’efficacité du repeuplement, c’est-à-dire le nombre de reproducteurs produits, est dépendante du nombre de juvéniles utilisés pour le repeuplement mais aussi de la fréquence des repeuplements. En effet l’ajout successif (chaque année) d’un grand nombre d’anguilles dans Pisci Sud a conduit à une raréfaction rapide de la nourriture pour cette espèce. Ce manque de ressource semble avoir eu des conséquences sur la production de reproducteurs en entrainant des mortalités fortes et des croissances faibles pour les individus qui ont manqué de nourriture. Une vidange de Pisci Sud est en cours pour confirmer l’effet de la compétition due au manque de nourriture mais aussi déterminer l’effet des stades d’introduction et de l’origine sur l’efficacité du repeuplement et ainsi proposer des recommandations pour les gestionnaires responsables de ces mesures de repeuplements. 

 

Une thèse a été soutenue fin 2014 par Clarisse Boulenger du laboratoire CRESCO du Muséum national d’histoire naturelle situé à Dinard, en collaboration avec la Tour du Valat. Elle traite des « Ajustements dynamiques des sous-populations d’anguilles européennes et traits d’histoire de vie : apport du marquage individuel par PIT-tag pour la conservation ». Les résultats de cette thèse montrent que les caractéristiques des hydrosystèmes (niveau de saturation et qualité de l’eau) influencent directement le nombre et les caractéristiques des futurs reproducteurs. Les implications de cette étude pour la conservation de cette espèce sont discutées.

Voir le résumé et télécharger la thèse de doctorat de Clarisse Boulenger (site Internet de la Tour du Valat) [1]

 

Clarisse Boulenger
Docteur
Muséum National d’Histoire Naturelle
CRESCO, à Dinard
[email protected] [2]
 
Alain Crivelli
Chercheur à la Tour du Valat
[email protected]   [3]