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Dans l’étang de Thau, la grande nacre touchée mais pas coulée

Malgré un épisode de mortalité massive chez la grande nacre fin 2020 dans le secteur sud-est de l’étang de Thau (a priori causé par le parasite Haplosporidium pinnae), la lagune constitue l’un des derniers sanctuaires à l’échelle méditerranéenne pour l’espèce protégée Pinna nobilis, tout en restant sous la menace de l’épizootie.

Belle densité de Pinna nobilis vivantes, devant Mèze (étang de Thau, octobre 2023)

Résumé

Dans l’étang de Thau, les populations de grandes nacres sont suivies depuis le mois de mai 2020. Des analyses effectuées sur des échantillons de tissus prélevés sur des grandes nacres moribondes à la fin de l’année 2020, ont permis de détecter le parasite Haplosporidium pinnae, probablement responsable d’un épisode de mortalité massive dans le secteur des Eaux Blanches, situé dans la partie sud-est de l’étang.  Aujourd’hui, les suivis montrent une bonne dynamique des populations, avec un bon taux de recrutement, y compris sur les sites affectés par le parasite.

Depuis l’automne 2016, la grande nacre Pinna nobilis (espèce endémique de Méditerranée protégée au niveau européen) est confrontée à une épizootie entrainant des épisodes de mortalité massive, principalement dus au parasite Haplosporidium pinnae. L’ampleur et la virulence du phénomène ont conduit à la classification de Pinna nobilis comme espèce en danger critique d’extinction sur la liste rouge mondiale des espèces menacées de l’UICN (Kersting et al., 2019 [1]).

En Occitanie, les premiers cas de mortalité en mer ouverte ont été signalés au mois de juin 2018 dans la Réserve Naturelle Nationale marine de Cerbère-Banyuls. À la fin de l’année 2019, les populations situées dans l’Aire Marine Protégée de la côte agathoise étaient à leur tour touchées par l’épizootie, avec un taux de mortalité approchant les 100 %.

En 2020, à l’exception de l’étang de Thau, toutes les populations connues de la côte occitane, y compris celles de quelques lagunes (Salses-Leucate notamment), semblaient être infectées par le parasite. L’étang de Thau faisait donc figure de sanctuaire pour la grande nacre.

Individu moribond sur la station Lafarge (étang de Thau), infecté par le parasite Haplosporidium pinnae.

Néanmoins, des prospections réalisées durant l’été et l’automne 2020 dans le secteur des Eaux blanches (partie sud-est de l’étang), ont révélé une importante mortalité au niveau de l’ancienne cimenterie Lafarge (commune de Frontignan). Deux individus moribonds (valves ouvertes et animal entièrement rétracté au fond de la coquille) avaient alors été biopsiés pour récupérer des échantillons de tissu exploitables. En 2021, des analyses moléculaires ont montré que ces 2 individus moribonds avaient bien été infectés par le protozoaire Haplosporidium pinnae : un diagnostic cohérent avec l’épisode de mortalité massive apparu au mois d’août 2020 et qui a décimé en 4 mois 100 % des nacres présentes sur cette station.

De même, il est probable que le parasite ait infecté, durant la même période, des populations de grandes nacres dans au moins deux autres stations situées dans le secteur des Eaux Blanches ; à savoir le site du Ponton et la pointe du Barrou. Des observations rapportées par les plongeurs de la Commission Environnement et Biologie Subaquatique de l’Hérault, démontrant tout l’intérêt de la Science Participative pour le suivi d’une espèce emblématique comme la grande nacre et l’évolution des populations dans le contexte d’une épizootie majeure.

Cette détection du parasite au niveau de la station Lafarge et les épisodes de mortalité observés sur les stations environnantes du Ponton » et du Barrou suggèrent que le parasite est probablement arrivé dans l’étang de Thau via les canaux de la ville de Sète, eux-mêmes reliés à la mer ouverte.

Cela indique également que le parasite est ponctuellement capable d’affronter les paramètres environnementaux particuliers de l’étang de Thau, notamment les variations annuelles de température et de salinité, en profitant peut-être d’une fenêtre temporelle favorable durant laquelle les paramètres physico-chimiques se rapprochent de ceux de la mer ouverte. Il pourrait en résulter une incapacité du parasite à infecter Pinna nobilis au-delà de ses propres capacités de résistance aux conditions environnementales.

Le suivi des paramètres physico-chimiques des lagunes côtières qui abritent encore des grandes nacres s’avère donc une priorité pour tenter de comprendre les conditions environnementales permissives de la pathogénicité du parasite.

Malgré l’épisode de mortalité massive de 2020, les suivis réalisés sur l’étang de Thau depuis le mois de mai 2023 confirment la très bonne dynamique globale des populations de grandes nacres. L’observation de très jeunes recrues et de quelques individus adultes (potentiellement résistants) dans les stations précédemment décimées par le parasite, laisse augurer une belle capacité de résilience de l’espèce.

 

Les prélèvements de tissu sont réalisés à l’aide d’une pince à biopsie permettant de prélever des échantillons du manteau de taille millimétrique, sans danger pour l’animal.

La détection de Haplosporidium pinnae dans l’étang de Thau a fait l’objet d’une publication  dans la revue Mediterranean Marine Science, en accès libre [2].

Ces travaux sont effectués dans le cadre d’une thèse actuellement en cours qui est consacrée à l’étude de la dynamique des populations de grandes nacres dans un contexte de pression infectieuse. La thèse est co-dirigée par Stéphane Coupé (Université de Toulon – Institut Méditerranéen d’Océanologie) et Nardo Vicente (Professeur Émérite, Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université, CNRS, IRD et Avignon Université), et co-encadrée par Robert Bunet (Directeur de la recherche à l’Institut Océanographique Paul Ricard). Elle bénéficie du soutien du  programme européen LIFE PINNARCA [3] LIFE20/NAT/ES/001265.

 

Publication dans Mediterranean Marine Science [4]

Site du programme Life Pinnarca  [3]

Vidéo de présentation du Life Pinnarca [5]

Actions de l’Institut Océanographique Paul Ricard dans le cadre du Life Pinnarca [6]

Site de l’équipe EMBIO (laboratoire MIO) [7]

 

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Photos : © Mathieu Foulquié