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Dépendance de la lagune de Biguglia aux eaux souterraines

Compréhension des écoulements souterrains et quantification des apports

Jusqu’à présent, les apports en eau douce et en nutriments vers la lagune de Biguglia (Haute-Corse) ont toujours été majoritairement attribués aux eaux fluviales ou de ruissellement sur le bassin versant. Cependant, les études hydrogéologiques réalisées à l’Université de Corse sur la nappe phréatique de la Marana ont permis de montrer la contribution des eaux souterraines au bilan hydrique de la lagune.

L’étang de Biguglia (Haute-Corse, au Sud de Bastia) est le dernier collecteur des eaux d’un bassin versant de 182 km², en proie à une urbanisation grandissante. En plus des apports en eaux fluviales en provenance du Bevincu et du Golu, cet étang est également hydrauliquement connecté aux eaux souterraines stockées dans les sédiments de la plaine de la Marana et constituant l’aquifère du même nom (Erostate et al., 2019). Le fonctionnement hydrogéologique naturel du continuum rivière-aquifère-lagune, aussi appelé hydrosystème, est fortement influencé par un réseau de drainage artificiel mis en place dès le 19ème siècle, afin d’assécher la plaine et de rendre les terres salubres (malaria) et exploitables en agriculture.

1. Ecoulement des eaux souterraines [1]

Figure 1 : a) Carte piézométrique et écoulement de l’aquifère de la Marana et b) Représentation graphique des contributions des différentes masses d’eau dans les eaux souterraines et les eaux lagunaires.

En mesurant ponctuellement la profondeur des eaux souterraines par rapport à la surface du sol, il est possible d’établir des cartes piézométriques, qui retranscrivent la morphologie de la surface des nappes d’eau souterraine. Telles des cartes topographiques, les courbes de niveau (ou isopièzes) correspondent à l’altitude du sommet de la nappe. L’écoulement des eaux souterraines se fait alors perpendiculairement aux isopièzes. La figure 1.a présente la carte piézométrique et le sens d’écoulement au sein de l’aquifère de la Marana. Elle montre clairement l’écoulement des eaux souterraines depuis les contreforts schisteux en direction de la lagune de Biguglia. Ces observations confirment que l’aquifère alluvial de la Marana constitue une source importante d’eau douce s’écoulant vers la lagune, faisant de la lagune un environnement tributaire des eaux souterraines.

2. Quantification des interactions entre les masses d’eau [2]

Figure 2 : B) Représentation schématique vue en coupe de la plaine de la Marana et C) vue en 3-Dimensions des différents processus hydrologiques de la lagune de Biguglia.

Grâce aux analyses géochimiques et isotopiques réalisées sur les différentes masses d’eau (eaux souterraines de l’aquifère alluvial, eaux souterraines drainées par les formations schisteuses, eaux fluviales du Bevincu et du Golu, eaux saumâtres lagunaires et eau de mer) il est possible d’élaborer un modèle de mélange. Ce type de modèle permet alors une estimation quantitative (en pourcentage) des contributions de chaque masse d’eau participant à la formation des eaux souterraines de l’aquifères alluvial.

De manière générale, l’infiltration des eaux fluviales du Bevincu et du Golu contrôle clairement le processus de recharge de l’aquifère (Figure 1.b).  La contribution des eaux fluviales à la recharge de l’aquifère augmente du Nord (26% en moyenne) vers le Sud (72% en moyenne) du bassin versant. Le modèle confirme également que les eaux souterraines s’écoulant depuis les contreforts schisteux de la Corse Alpine participent activement à la recharge de l’aquifère (Figure 1.b). Leur contribution diminue du Nord au Sud de la plaine mais également avec l’augmentation de la profondeur des dépôts sédimentaires (Figure 2).

Les eaux souterraines en provenance des contreforts schisteux et de l’aquifère alluvial contribuent ensuite aux apports en eau douce vers la lagune de Biguglia. Les eaux souterraines s’écoulant depuis les contreforts schisteux vers la lagune constituent à elles seules entre 11 % et 75 % des apports totaux en eau douce vers la lagune de Biguglia (Tableau 1). Cependant, le modèle de mélange élaboré ne permet pas de faire la différence entre les eaux fluviales s’écoulant directement dans la lagune et les eaux fluviales ayant transité via l’aquifère alluvial avant de rejoindre la lagune. Les contributions des eaux fluviales présentées en tableau 1 sont donc la résultante indifférenciée des eaux en provenance des rivières et des eaux souterraines de l’aquifère alluvial. Les rivières contribuant majoritairement à la recharge de l’aquifère dans sa partie Sud, il est raisonnable de penser que la contribution des eaux souterraines aux apports en eau douce vers la lagune, bien que déjà importante, soit encore sous-estimée. Par conséquent, la contribution des eaux souterraines représente entre 11 % et 75 % des apports en eau douce vers la lagune de Biguglia.

Tableau 1 : Contributions en pourcentage des eaux souterraines et fluviales dans les apports totaux en eau douce vers la lagune de Biguglia, calculés pour les points L1 à L4 (Figure 1.b).

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3. Dépendance indirecte de la lagune aux eaux souterraines : influence majeure du réseau de drainage artificiel et enjeux de gestion

Il apparaît de manière claire que la lagune est tributaire des eaux souterraines. L’écoulement naturel des eaux souterraines vers la lagune est cependant très fortement contraint par le système de drainage artificiel de la plaine. Les canaux de drainage bordant la lagune constituent une charge imposée pour l’aquifère (Figure 3), accélérant l’écoulement naturel des eaux souterraines. Les canaux de drainage ne sont pas seulement des collecteurs des eaux de ruissellement de surface mais drainent essentiellement une part importante des eaux souterraines en provenance de l’aquifère (phénomène d’écrêtement de nappe). L’apport des eaux souterraines à la lagune est ensuite principalement assuré par les stations de pompage. Celles-ci pompent l’eau des canaux qui drainent massivement la nappe puis la rejette vers la lagune (Figure 2.B). Les apports en eau souterraine, via les stations de pompage, contribuent ainsi directement aux conditions physico-chimiques de la lagune ainsi qu’au drainage des polluants (notamment nitratés) vers la lagune. Les eaux souterraines contribuent donc fondamentalement à l’ensemble des services écosystémiques produits par la lagune.

Les travaux menés ont permis de proposer le premier modèle conceptuel de fonctionnement de l’hydrosystème de la lagune de Biguglia à l’échelle de l’ensemble du bassin versant (Figure 2). La prise en compte du continuum hydrologique dans son ensemble constitue un paramètre essentiel à la préservation et à la restauration de la lagune de Biguglia. Après plusieurs décennies de drainage, le fonctionnement hydrologique naturel de la plaine a été grandement modifié. Il apparait maintenant comme essentiel de confirmer l’adéquation entre le fonctionnement du réseau historique de drainage et l’état actuel de la ressource enfin d’optimiser la gestion de l’hydrosystème dans son ensemble permettant ainsi de concilier développement socio-économique de la plaine, lutte anti-moustique, gestion pérenne des ressources en eau et sauvegarde de l’écosystème de la lagune de Biguglia.

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Figure 3 : Illustration de l’effet de « charge imposée » des canaux sur les eaux souterraines.

 

EROSTATE, F. HUNEAU, E. GAREL, Y. VYSTAVNA, S. SANTONI, V. PASQUALINI, 2019. Coupling isotope hydrology, geochemical tracers and emerging compounds to evaluate mixing processes and groundwater dependence of a highly anthropized coastal hydrosystem. Journal of Hydrology 578, 123979. https://doi.org/10.1016/j.jhydrol.2019.123979 [5].

JAUNAT, E. GAREL, F. HUNEAU, M. EROSTATE, S. SANTONI, S. ROBERT, D. FOX, V. PASQUALINI, 2019. Combinations of geoenvironmental data underline coastal aquifer anthropogenic nitrate legacy through groundwater vulnerability mapping methods, Science of The Total Environment 658, 1390-1403. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2018.12.249 [6].

EROSTATE, F. HUNEAU, E. GAREL, M. F LEHMANN, T. KUHN, L. AQUILINA, V. VERGNAUD-AYRAUD, T. LABASQUE, S. SANTONI, S. ROBERT, D. PROVITOLO, V. PASQUALINI, 2018. Delayed nitrate dispersion within a coastal aquifer provides constraints on land-use evolution and nitrate contamination in the past. Science of The Total Environment 644, 928–940. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2018.06.375 [7]

 

Mélanie Erostate, Docteur en hydrogéologie, Université de Corse, UMR CNRS SPE 6134 : [email protected] [8] / [email protected] [9]

Frédéric Huneau, Professeur d’hydrogéologie, Université de Corse, UMR CNRS SPE 6134  : [email protected] [10]

Emilie Garel, Maître de conférences en hydrogéologie, Université de Corse, UMR CNRS SPE 6134 : [email protected] [11]

Département d’Hydrogéologie, UMR CNRS SPE 6134
Faculté des Sciences,
Université de Corse Pascal Paoli
Campus Grimaldi, BP52
20250 Corte, France