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Étude de l’écologie du Leste à grands ptérostigmas, une demoiselle des eaux saumâtres et temporaires

Connaître ses préférences pour mieux préserver son habitat

Date de publication : 09/09/2016

En 2010, au sein de la Réserve naturelle nationale des Marais du Vigueirat, une première série d’études a été lancée par la Société française d’odonatologie (SfO) sur la biologie du Leste à grands ptérostigmas (Lestes macrostigma). Par la suite, dans le cadre de la déclinaison du Plan national d’actions [1] en faveur des Odonates en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB), a été lancé un programme de restauration de mares temporaires méditerranéennes, coordonné par les Amis du Marais du Vigueirat, avec le concours de l’Institut de recherche de la Tour du Valat. Ce programme a été élaboré afin d’augmenter le nombre de sites de reproduction de L. macrostigma, mais aussi de mieux comprendre ses choix d’habitat.

Photos © P.Lambret

Une étude qui révèle la préférence de l’espèce pour le scirpe maritime…

Au moment de la reproduction de L. macrostigma au mois de juin, la femelle pond ses œufs accompagnée du mâle. Celui-ci dirige le vol du tandem et choisit de préférence les tiges de Scirpe maritime (Bolboschoenus maritimus) ou les tiges mortes de Jonc maritime (Juncus maritimus) pour se poser. Quant à la femelle, elle dépose ses œufs dans les tiges mortes ou vivantes de plusieurs hélophytes, mais avec un meilleur rendement dans le Scirpe maritime. Par ailleurs, puisque les œufs demeurent dans ces tiges jusqu’à leur éclosion en mars, ils doivent résister à la sécheresse estivale, plus ou moins longue, jusqu’à ce qu’ils soient submergés par les pluies automnales. Comme le Scirpe maritime se développe dans les zones profondes des mares temporaires comparativement aux autres hélophytes, il aura plus rapidement les pieds dans l’eau. Les œufs de L. macrostigma présents dans les tiges de Scirpe maritime seront ainsi immergés plus tôt que ceux pondus dans d’autres hélophytes, ce qui réduit leur risque de dessiccation, et donc leur mortalité.

En préférant le Scirpe maritime lors de la ponte, les adultes augmentent ainsi les chances de survie de leur progéniture, et donc leur succès de reproduction. Le Scirpe maritime apparaît donc comme un facteur important à prendre en considération lors de projets ciblant la conservation de L. macrostigma.

D’autre part, en caractérisant l’habitat de cette espèce, il a été mis en évidence le rôle déterminant de la temporarité de l’hydropériode, un long assec estival lui étant favorable, possiblement parce que cela limite le nombre de prédateurs et de compétiteurs de L. macrostigma. Parallèlement, l’espèce préfère les mares temporaires les plus profondes : celles-ci s’assèchent plus tard que celles de faible profondeur qui contiennent un moindre volume d’eau. Un assec plus tardif permet à un plus grand nombre d’adultes d’achever leur développement larvaire et d’émerger. D’autres études sont en cours afin d’identifier le rôle joué par exemple par la salinité du milieu.

Des perspectives en faveur de la conservation de Lestes macrostigma dans les mares temporaires…

Entre 2013 et 2015, le programme de restauration de mares temporaires méditerranéennes coordonné par les Amis des Marais du Vigueirat a permis le creusement en Camargue de 9 mares possédant à la fois des berges en pente douce et d’autres abruptes, et dont la profondeur a été calibrée suivant le bassin versant, la pédologie et des conditions météorologiques des sites choisis.

La colonisation de ces habitats par les plantes et les odonates a été étudiée six mois à deux ans après creusement. En 2015, L. macrostigma très abondant cette année-là, avait massivement pondu dans les quelques rares tiges de Scirpe maritime et de Jonc maritime qui s’étaient développées depuis la création des mares. En 2016, année à l’inverse défavorable à l’espèce, la reproduction a été réussie dans une des mares, comme l’a prouvé l’observation de l’émergence d’un adulte et la présence de nouveaux tandems en phase de ponte.

A moyen terme, et grâce à ces études menées sur les préférences écologiques du Leste à grands ptérostigmas, la gestion hydrologique de certains plans d’eau pourrait être affinée en faveur de cette espèce. Par ailleurs, ces acquis de la recherche appliquée permettront d’apporter un savoir faire utile à d’autres opérations de restauration de mares temporaires le long du littoral méditerranéen.

Photos © P.Lambret

Philippe Lambret, chef de projet à la Tour du Valat.
[email protected] [2]

 

Lambret P. 2010. Dynamique d’une population d’adultes de Lestes macrostigma (Eversmann, 1836) et implications pour son suivi : l’exemple de la Camargue (Odonata, Zygoptera : Lestidae). Martinia, 26 : 19-28. [3]

Lambret P. 2010. Une enquête sur Lestes macrostigma (Eversmann, 1836) (Odonata, Zygoptera : Lestidae). Martinia, 26 : 178-181. [4]

Lambret P., Besnard A. & Matushkina N. 2015. Plant preference during oviposition in the endangered dragonfly Lestes macrostigma (Odonata: Zygoptera) and consequences for its conservation. Journal of Insect Conservation, 19 : 741-752.

Lambret P., Boutron O. et Massez G. 2016. Étude de l’écologie de Lestes macrostigma et restauration de son habitat. Le Courrier de la Nature, 296 : 66-69.

Lambret P. & Stoquert A. 2011. Diel pattern of activity of Lestes macrostigma at a breeding site (Odonata: Lestidae). International Journal of Odonatology, 14 : 175-191.