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Le cténaire Mnemiopsis leidyi, une invasion en lagunes

Une étude interdisciplinaire[1] [1] menée depuis 2015 s’intéresse à l’impact écologique et sociologique de la prolifération de ce gélatineux dans les étangs de Berre et de Camargue.

Une espèce américaine introduite massivement en Europe

Mnemiopsis leidyi est inscrite sur la liste des 50 espèces les plus invasives au monde (IUCN). C’est une espèce de plancton gélatineux non urticante appartenant au phylum des cténaires (Fig. 1), native des côtes atlantiques américaines (Amérique du Sud, Golfe du Mexique et côte est des Etats-Unis). Elle y est observée principalement en zones côtières (i.e. estuaires, lagunes), zones à l’interface entre la mer et le continent, particulièrement influencées par les pressions anthropiques.
Transportée par les eaux de ballast de navires marchands, elle a atteint de nouvelles régions tout particulièrement en Europe. Elle y a été observée à partir de 1980 tout d’abord en Mer Noire, en Mer Caspienne, puis elle s’est déplacée grâce aux courants le long des côtes nord méditerranéennes (Mer de Marmara, Mer Egée, Mer Adriatique et Bassin nord-occidental).
Au début des années 2000, une autre vague d’introductions a touché l’Europe du Nord. En France, les premières observations de M. leidyi ont été faites dans l’étang du Vaccarès à la fin des années 1990, puis dans les étangs de Bages-Sigean, de Berre au début des années 2000 et plus récemment en mer (Marseille, Villefranche-sur-Mer), en Corse (étang de Biguglia), et dans les étangs de Villepey (2016). Elle a également été observée le long des côtes de Boulogne-sur-Mer en Manche depuis quelques années.

Forte capacité de reproduction, faculté d’adaptation et croissance rapide : les clefs d’une invasion réussie

Espèce hermaphrodite, M. leidyi peut pondre, en conditions optimales, plus de 10 000 œufs par individu par jour. Son cycle de vie simple s’effectue en 14 jours en milieu tempéré. Elle s’adapte très bien à de grandes gammes de température (1°C à 32°C) et de salinité (2 à 38). Elle peut aussi survivre dans des zones très peu oxygénées et par conséquent est capable de « conquérir » des milieux aux caractéristiques parfois très différentes.
M. leidyi est aussi un prédateur carnivore opportuniste particulièrement vorace. Elle est capable d’ingurgiter une quantité de proies représentant jusqu’à 10 fois son poids humide par jour, et peut s’attaquer aussi bien à des proies de petites tailles (~100 µm : nauplii de copépodes, larves de bivalves et de gastéropodes) qu’à des proies faisant plusieurs millimètres (larves de poissons, juvéniles d’amphipodes). En conditions alimentaires défavorables, M. leidyi est capable de s’auto-digérer en puisant dans ses réserves et peut ainsi survivre durant des semaines.

Figure 1 © Guillaume Marchessaux

Son invasion, favorisée par l’eutrophisation et la surpêche, aggrave les problèmes écologiques

L’eutrophisation et la surpêche tendraient à favoriser le développement des populations de gélatineux et M. leidyi ne semble pas déroger à la règle. En Mer Noire, l’invasion de M. leidyi est intervenue en plein effondrement des stocks de sardines et d’anchois suite à une surpêche intensive. L’apparition massive de ce cténaire a seulement empiré ce phénomène, Mnemiopsis s’alimentant sur les œufs et larves de ces poissons et, combiné à la surpêche a provoqué d’importants dégâts écologiques et socio-économiques. Pour tenter de contrôler la population de Mnemiopsis, son prédateur spécifique, le cténaire Beroe ovata, y a été introduit. L’équilibre proie/prédateur a permis de maintenir la population de Mnemiopsis à un niveau d’abondance acceptable pour permettre, en complément d’une réglementation des pêches, un début de restauration des stocks de petits poissons pélagiques. En revanche, cette tentative de contrôle n’a pas fonctionné en Mer Caspienne où la population de ovata ne s’est pas maintenue.

Figure 2

Vers une compréhension de l’impact de la prolifération de M. leidyi en lagunes méditerranéennes

Installée depuis le début du siècle dans les étangs de Berre et de Camargue, M. leidyi semble profiter pleinement des conditions d’eutrophisation perdurant dans l’étang de Berre – malgré des efforts de régulation – permettant ainsi le maintien d’une communauté zooplanctonique (sa nourriture) très abondante, au-delà des seuils limitants pour le développement de Mnemiopsis.Néanmoins, le cnidaire Aurelia sp., endémique à l’étang de Berre, a vu sa population décliner depuis l’introduction de M. leidyi. Ceci est certainement à mettre en relation avec la prédation de Mnemiopsis sur les éphyrules (premier stade méduses) d’Aurelia.
M. leidyiest présente toute l’année dans les étangs de Berre et de Camargue et des proliférations plus importantes sont observées de la fin du printemps jusqu’au début de l’hiver. Durant ces périodes-là, la population est composée principalement d’adultes, alors qu’en hiver, dominent les larves et les stades transitoires. L’étude en laboratoire du cycle de vie de la population de M. leidyi de l’étang de Berre a montré qu’en période froide, les jeunes individus bloquent leur croissance pour pouvoir survivre en attendant un réchauffement de l’eau.
Dans ces étangs, M. leidyi est identifiée comme un problème pour plusieurs activités humaines. En particulier, les pêcheurs professionnels à l’anguille, les plus affectés, indiquent que ces gélatineux obstruent leurs filets, pouvant même les déchirer et entrainer l’asphyxie des poissons qui y sont piégés (Fig. 2). Le manque à gagner pour ces pêcheurs est réel et se monte à plusieurs milliers d’euros. En revanche, cette espèce n’étant pas urticante, les activités de baignade sont peu impactées dans l’étang de Berre, même si certains nageurs n’apprécient guère de nager au milieu de ces masses de gélatineux.
Une étude interdisciplinaire[1] [1] menée depuis 2015, s’intéresse à la compréhension de l’impact écologique et sociologique de la prolifération de M. leidyi dans les étangs de Berre et de Camargue. Sur l’étang de Berre, la spatialisation des données interdisciplinaires recueillies lors de l’étude a révélé des situations de cohabitation entre les usagers et les cténaires où la présence de Mnemiopsis ne semble pas influencer les usagers dans leurs pratiques et dans le choix des zones qu’ils fréquentent. En revanche, la gêne, très localisée au Sud-Est et au Nord-Ouest de l’étang de Berre, peut être importante en conditions de fortes proliférations.

Mnemi’Obs, un programme d’observations citoyennes des gélatineux dans l’étang de Berre

Mnemi’Obs, disponible sur le site du Gibreb [2], a vocation à collecter des informations complémentaires sur la distribution des gélatineux, grâce au concours des citoyens.
Le couplage de ces données citoyennes avec les données océanographiques, sociologiques, physiques (simulations en liens avec les conditions climatiques) permettront de mieux comprendre la dynamique de Mnemiopsis dans l’étang de Berre et ainsi de proposer des mesures de gestion adaptées aux conditions du milieu.

Contacts 

Guillaume Marchessaux1, Cécilia Claeys2 et Delphine Thibault1
1 Aix Marseille Université, Université de Toulon, CNRS, IRD, MIO, Marseille, France
2 Aix-Marseille Université, IRD, LPED, Marseille, France
Email : [email protected] [3]

 

[1] [4] Une thèse interdisciplinaire, menée par Guillaume Marchessaux (bourse inter-écoles doctorales d’Aix-Marseille Université), associant océanologie et sociologie est en cours concernant la prolifération de Mnemiopsis leidyi dans l’Etang de Berre et l’Etang du Vaccarès.