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Le grau de La Franqui : une passe microtidale intermittente

Une étude morphodynamique a été menée sur le grau de La Franqui à l’étang de La Palme qui est l’un des derniers graus naturels intermittent de Méditerranée française. Ce travail a été réalisé dans le cadre de deux stages de master réalisés au CEFREM en collaboration avec le Parc Naturel Régional de la Narbonnaise en Méditerranée.

Grau de La Franqui (novembre 2019) © P. Feyssat

Un grau est le terme occitan pour désigner un estuaire, c’est un chenal étroit permettant la communication entre une lagune et la mer au travers d’une barrière littorale. Ces estuaires ont des fonctionnements intermittents, alternants entre périodes d’ouvertures et de fermetures en fonction des conditions météorologiques. Ce caractère aléatoire a conduit dans de très nombreux cas à l’endiguement de ces estuaires pour contrôler les débits entrants et sortants des lagunes (comme à Leucate ou à Canet-en-Roussillon par exemple).

De par sa richesse écologique, l’étang de La Palme est classé Natura 2000 au titre des directives « habitats, faune, flore » et « Oiseaux ». En 2006, il est déclaré « zone humide d’importance internationale » de la convention Ramsar. Enfin, l’étang est un site référence de la directive cadre sur l’eau du fait de la bonne qualité de ses eaux, des vastes herbiers et de son grau naturel. En effet, le grau de La Franqui est l’un des derniers graux naturels de Méditerranée française. Ce qui en fait un site parfait pour l’étude du fonctionnement d’un grau naturel en milieu microtidale. Cet estuaire a un fonctionnement intermittent, l’alternance entre les périodes closes et ouvertes. En période close, l’étang se trouve isolé de la mer. Le cordon de sable agit comme un barrage empêchant soit la vidange de l’étang et faisant courir un risque d’inondation en cas de fortes précipitations. Soit empêchant la réalimentation de la lagune par les eaux marines lors de périodes d’assèchements, ce qui entraine une importante dégradation de la qualité de l’eau lagunaire. Les migrations de la faune aquatique sont entièrement dépendantes de l’état du grau.

Méthode

L’étude consiste en un suivi topographique (DGPS-RTK) de la page s’étalant sur 1,5 an (de novembre 2017 à mai 2019) et d’un déploiement d’instruments de mesures hydrodynamiques (de février et mars 2019). Pour mesurer les variations de niveau entre la côte et le bassin sud, ainsi que l’évolution de la nappe dans la plage en fonction des conditions de forçages dominantes.

Suivi topographique © O. Raynal

Résultats

Les résultats tendent à démontrer le rôle prédominant de la Tramontane dans les phases d’ouvertures, elle est à l’origine de l’abaissement de la berme par érosion éolienne et d’une l’accumulation d’eau en arrière de la barrière. Cette configuration permet ainsi au grau de s’ouvrir au niveau d’une corne de sinuosité de plage, qui connecte la plage aérienne et le système de barres interne. Ces connexions créent des zones où la berme est moins haute ce qui facilitera l’ouverture du grau.

Les phases de comblements semblent en revanche plutôt être contrôlées par la petite houle d’est à forte période liée au vent marin, qui vont ramener vers la côte le sédiment exporté par le vent offshore et par le grau. Si le courant sortant à l’exutoire est suffisamment faible, ce phénomène entraînera la fermeture de l’exutoire. Ces phases d’ouverture et de fermeture s’enchaînent au cours d’un cycle saisonnier, la première ouverture en début d’hiver est liée au retour de fortes conditions de Tramontane. Au cours de l’hiver, un cycle de fermeture et de réouverture se met en place avec l’alternance Tramontane/Marin. Les conditions automnales moins énergétiques permettent d’amorcer un nouveau cycle saisonnier. Un phénomène de percolation au travers de la barrière littorale est observé lorsque que le grau est fermé. Le flux d’eau est dirigé de la lagune vers la mer en condition de Tramontane et de la mer vers la lagune en condition de marin. La pente de la nappe dépend de la surcote engendrée par le forçage est des hauteurs d’eau de part et d’autre du cordon sableux.

Perspectives

Ces travaux permettent d’identifier de nouveaux axes de recherches pour approfondir les connaissances sur le fonctionnement du grau.

Une étroite relation existe entre la disposition des barres d’avant-côte et la morphologie de la berme, qui sont des facteurs déterminant pour la mise en place du grau et de son delta. Des levés topo-bathymétriques à haute fréquence et une campagne de mesure in-situ (courantomètre et capteurs de pression) sur l’avant-côte permettrait de mieux comprendre ce système. L’installation d’un système vidéo performant permettant d’automatiser le suivi du grau et des barres d’avant-cote sur le modèle de ce que fait le BRGM à Sète, pourrait être envisageable. Ceci permettrait aussi de mieux comprendre le fonctionnement pendant les tempêtes ainsi que les mécanismes de reconstruction post-événements.

Un déploiement et des mesures sur une plus longue période (notamment dans le grau ouvert) seraient également importants, car pour le moment on ne dispose de données que sur le cycle hivernal de fonctionnement du grau. Des mesures en conditions de forte Tramontane et de fort vent marin sont importantes pour une meilleure compréhension du grau. En ce qui concerne le phénomène de percolation au travers de la plage, un déploiement d’ampleur avec au moins une dizaine de capteurs de pression ensablés ainsi qu’un suivi de la lagune et de l’avant-côte à haute fréquence serait intéressant pour bien caractériser ces flux. Des traces de percolation depuis la mer ont été observées à l’intérieur de la lagune pendant la période de bas niveau de l’été.

Enfin, le grau de La Franqui est un système très particulier avec un bassin de taille réduite, fortement influencé par le vent et sa proximité avec le cap Leucate. Bien que très intéressant à étudier, il n’est semble-t-il pas représentatif de la majeure partie des graus méditerranéens. Il serait intéressant de mener ce même type de travail sur l’un des deux autres graus naturels intermittents présents sur le territoire du PNR de la Narbonnaise. Pour se rapprocher le plus des modèles généraux avec une lagune plus grande et sans l’impact d’un cap.

Grau de La Franqui (mars 2019) © O. Raynal

Remerciements

Ce travail a été réalisé dans le cadre de deux stages de master réalisés au CEFREM (UMR 5110 CNRS-UPVD) en collaboration avec le Parc Naturel Régional de la Narbonnaise en Méditerranée. Les instruments de mesures hydrodynamiques ont été prêtés par le groupement de chercheurs GLADYS.