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Le point sur la contamination des canaux et étangs de Camargue

Note de synthèse de la SNPN Réserve Naturelle Nationale de Camargue

Date de publication : 3/07/2014

 

L’interconnexion des zones humides avec des zones agricoles adjacentes conduit à une contamination chronique des écosystèmes aquatiques et de leurs réseaux trophiques.

En raison de leur position de réceptacle des eaux de drainage des exploitations rizicoles et des eaux de ruissellement des autres agrosystèmes, les étangs camarguais (Étang de Vaccarès et des Impériaux notamment) sont particulièrement menacés. Ils reçoivent des résidus de traitement de produits agrochimiques de manière continue ou intermittente, auxquels s’ajoutent les polluants transportés par le Rhône, dont l’eau est captée pour l’irrigation. A ces apports hydrologiques s’ajoute également le transfert atmosphérique de produits organiques industriels ou agricoles.

Ces substances sont bioaccumulées dans les organismes à tous les niveaux du réseau trophique. Les plus persistants, comme les PCB ou autres substances organochlorées, sont bioamplifiées et/ou se retrouvent dans les couches sédimentaires. Ces étangs reçoivent par ailleurs de l’azote et du phosphore, voire des charges organiques importantes liées aux habitations groupées ou isolées, ces contaminants étant susceptibles de provoquer des phénomènes d’eutrophisation.

On peut considérer que quatre phénomènes convergents contribuent à la mise en danger du système Vaccarès :

 

 

Projet Fumemorte 

Le suivi scientifique de la RNN de Camargue a mis en évidence en 2008 et 2009 un effondrement de la surface des herbiers de zostères de l’étang du Vaccarès (espèce protégée et habitat prioritaire au titre de la Directive Habitats). Ne pouvant l’expliquer par une modification de niveau ou de salinité, nous avons émis l’hypothèse d’un lien avec les apports de pesticides et de nutriments en provenance du canal du Fumemorte, d’autant plus que cette disparition de l’herbier affectait principalement la moitié est de l’étang correspondant à l’embouchure dudit canal.

Proposé par la Société Nationale de Protection de la Nature, un projet associant gestionnaires, scientifiques et agriculteurs à pu être financé dans le cadre du contrat de delta porté par le PNRC. La SNPN s’est chargée de la partie suivi de la contamination dans les canaux et étangs, assurant la collecte des échantillons, la mise en forme et la synthèse des résultats d’analyse, assistée par des experts reconnus pour l’interprétation des impacts environnementaux.

 

Les principaux enseignements de trois années de suivis sont :

 

Présence importante dans l’eau de pesticides interdits en France:

Toutes ces molécules sont d’origine locale, aucune n’étant présente dans le Rhône (données publiques de l’Agence de l’Eau concernant le point d’échantillonnage de l’eau du Rhône à Arles)

 

Présence à des concentrations élevées de pesticides non autorisés en riziculture :

 

Fortes concentrations dans les canaux de pesticides autorisés en riziculture :

 

Présence de résidus d’herbicides dans les canaux en période hivernale

Bentazone, 2.4-MCPA, DNOC, AMPA, Chlorotoluron, oxadiazon sont encore détectés dans les canaux en hiver, particulièrement à la suite d’épisodes pluvieux : ils persistent probablement dans les parcelles (en particulier cultures sèches) et sont lessivés par les pluies.

Avec une concentration moyenne annuelle de l’ordre d’1 microgramme/litre, on peut évaluer l’apport annuel de bentazone (matière active) par le canal du Fumemorte à une centaine de kilogrammes par an dans le Vaccarès …

 

Somme des pesticides :

Cet indicateur préconisé par le système d’évaluation de la qualité de l’eau (SEQ-Eau/Agence de l’Eau) met en évidence la faible contamination du Rhône et du canal du Japon (eau d’irrigation), la forte à très forte contamination des canaux de drainage (Fumemorte et Versadou) et la contamination moyenne des étangs qui reçoivent ces eaux de drainage : les étangs sont la plupart du temps plus contaminés que le Rhône.

 

Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (HAP) :

Ils sont présents dans les trois compartiments (Rhône, canaux et étangs) de façon irrégulière, parfois en concentrations inquiétantes (jusqu’à 15 fois la NQE pour le benzo (ghi) pérylène dans l’étang de la Dame en 2013). Leur origine est essentiellement atmosphérique et rhodanienne et ils sont liés aux processus pyrolytiques (combustion du gas-oil en particulier)

 

Autres contaminants :

La plupart proviennent probablement du Rhône et n’ont à priori pas d’usage agricole.

Certains comme le formaldéhyde peuvent être présents en concentration élevée (valeur supérieure à la NQE)

 

Métaux :

Certains présentent en période rizicole (avril/septembre) des concentrations inquiétantes dans les étangs (Arsenic, Chrome, Nickel) et peuvent même dépasser leur NQE[1] [1] (Cuivre)

 

Nutriments :

On observe en période rizicole et après des grosses pluies des effets de concentration dans les étangs en dérivés azotés et phosphorés, susceptibles d’y déclencher des crises distrophiques.

 

Yves Chérain
[email protected] [2]
04 90 97 09 33
Société Nationale de Protection de la Nature
Réserve Naturelle Nationale de Camargue
www.reserve-camargue.org [3]

 

Crédit photo : S. Arquès/TDV



[1] [4] pour un polluant, la PNEC (Predicted No Effect Concentration – concentration sans effet prévisible) est une des composantes utiles à la détermination d’une Norme de Qualité Environnementale (NQE), définie comme la «concentration d’un polluant ou d’un groupe de polluants dans l’eau, les sédiments ou le biote qui ne doit pas être dépassée, afin de protéger la santé humaine et l’environnement » (DCE 2000/60/EC)