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Les ports antiques de Narbonne (11)

Les recherches archéologiques révèlent l’ampleur des structures portuaires de Narbonne romaine

 

Depuis 2010, une équipe pluridisciplinaire fouille autour des étangs de Bages-Sigean les zones portuaires de Narbonne antique.

Le changement du cours du fleuve et l’évolution de la lagune ont nécessité de grands aménagements, notamment pour canaliser l’Aude à l’époque romaine. L’embouchure du fleuve est explorée, ainsi que des lieux de déchargement et d’entrepôts, un grand établissement littoral et un vivier monumental.

Ces recherches sur les ports antiques de Narbonne sont réalisées dans le cadre d’un partenariat de quatre ans signé entre le CNRS (UMR 5140, Archéologie des Sociétés Méditerranéennes), la Région Languedoc-Roussillon (principaux financeurs de ce programme de recherche évalué à 2.6M€), l’Université Montpellier 3, le Ministère de la Culture (DRAC et DRASSM) et l’Inrap. Une convention avec le Conservatoire du Littoral, propriétaire du domaine du Grand Castélou (1) [1] a également été signée.

 

« Quai » (cf. légende)

Narbonne, plaque tournante du commerce international

Narbonne, fondée en 118 av. notre ère, s’installe au carrefour d’axes terrestres (voie domitienne et voie d’Aquitaine), maritimes et fluviaux (axe Aude/Garonne).

Narbonne est une plaque tournante du commerce international et attire de nombreux armateurs et négociants. Ville commerçante, elle était considérée comme le deuxième port de l’empire romain en Occident après Ostie, port de Rome.

La mobilité du fleuve et du littoral ont joué un rôle majeur : le cours de l’Aude connaît une histoire complexe avec des déplacements successifs qui sont à l’origine de différentes zones de déchargements des marchandises étudiées dans le cadre du projet de recherche :

L’île Saint-Martin à Gruissan, lieu de déchargement

À l’entrée même des étangs, des grands établissements comme l’île Saint-Martin à Gruissan permettaient de faire étape dans la lagune, de décharger des marchandises sans avoir à remonter jusqu’à Narbonne ou de refaire le plein d’eau douce grâce à des citernes aménagées au plus près du littoral.

Le site de Saint-Martin pourrait appartenir à la famille des Fadii, riches commerçants narbonnais, ou être le siège de la capitainerie ou du procurateur en charge du système portuaire.

Ce site contrôle également l’entrée des étangs narbonnais.

Port-la-Nautique, lieu de transit

Le site de Port-la-Nautique, à quatre kilomètres au Sud de la ville, est un important lieu de transit dont témoignent de grands entrepôts et les ratés de transbordements découverts dans la vase.

Les fouilles récentes montrent que ce site devait être géré par un personnage important, peut-être enrichi par un commerce lucratif. Un vivier monumental, constitué par un bassin de 65 m de diamètre, au centre duquel prenait place une salle à manger, permettait à ce riche romain de recevoir ses invités. Ces derniers pouvaient alors choisir les différents poissons mis à leur disposition : murènes, anguilles, loups ou muges.

Port-la-Nautique connaît une occupation courte, entre 30 av. n. è. et 70 de n. è. Au cours de cette période, l’embouchure de l’Aude pouvait être située dans l’anse de Montfort, à l’est de la Nautique. Le colmatage de la lagune a sans doute joué un rôle dans l’abandon de ce site.

Castélou/Mandirac, lieu de stockage et de débarquement

Lui succède le site proche du Castélou/Mandirac qui a bénéficié de grands travaux pour canaliser l’embouchure du fleuve Aude du IIe au Ve siècle de notre ère.

Les fouilles menées depuis 2010 ont mis en évidence un canal de 50 m de large et au moins 3,5 m de profondeur accueillant des bateaux de toute la Méditerranée. Cette structure, composée d’au moins deux jetées d’une quinzaine de mètres de large, a été reconnue sur deux kilomètres. Elle est aménagée dans la lagune grâce à l’apport de mètres cubes de matériaux et de milliers de pieux en bois qui viennent renforcer les berges.

Encadrant le débouché de l’Aude dans les étangs, cette construction permettait de faire accoster les bateaux à fort tirant d’eau contre des quais aménagés. En effet, tous les navires ne remontaient pas le fleuve jusqu’à la ville et certains produits étaient transvasés sur des embarcations plus légères. Cette manutention nécessitait des lieux de stockage. Un bâtiment de 7,60 m de large pour au moins 18 m de long a ainsi été mis en évidence durant la campagne 2012, sur un des quais du Castélou. Il avait très certainement un rôle d’entrepôt mais aussi administratif pour le contrôle des marchandises.

À partir du IVe s. de n. è. de nouveaux travaux sont nécessaires pour consolider cette embouchure, mise à mal par un fleuve impétueux. Un bateau, large d’environ 3,20 m, est volontairement coulé pour reconstruire une digue. Évalué à au moins 13 m de long, il transportait des amphores d’Afrique et du Sud de l’Espagne, illustrant le rôle de Narbonne dans le commerce entre les différentes provinces de l’Empire.


« Epave » (cf. légende)

Les fouilles ont livré une grande quantité d’objets perdus ou brisés lors de leur transfert, mais aussi des déchets de la ville apportés dans la lagune pour asseoir les jetées. Plusieurs milliers de fragments de céramiques témoignent des échanges avec toute la Méditerranée du Ier au Ve s. de n. è.

Vin d’Italie et d’Espagne, sauces de poissons, huile d’Andalousie mais aussi d’Afrique, miel de Crète et autres produits orientaux transitent par le port de Narbonne. Le transport de matières premières, tels que les minerais et du verre brut, est aussi attesté.

Des monuments prestigieux aux ouvrages portuaires…

Jusqu’à la fin de l’Antiquité, le port de Narbonne reste dynamique. L’écrivain Ausone, au IVe s. de notre ère, l’évoquait en ces termes : « tout ce qui navigue dans l’univers vient aborder à tes quais ».

Pourtant, la ville se rétracte derrière ses remparts dès cette époque, livrant à la destruction des monuments prestigieux. On considérait cette parure monumentale comme totalement disparue, consumée dans les fours à chaux. Or, le démantèlement de ces monuments sert à entretenir les ouvrages portuaires comme en témoigne une digue fouillée depuis 2011. Ainsi, des fragments du capitole du Narbonne, des corniches d’autres monuments, des chapiteaux, des colonnes en calcaire, en marbre blanc et en marbre de Turquie, mais également des fragments de sculptures rappellent les imposants monuments de la capitale antique. Amoncelés dans les ouvrages portuaires, ils montrent également l’importance que revêt l’entretien de la voie fluviale.

 

(1) conjointement géré par la commune de Narbonne et le CPIE des Pays Narbonnais.

 

  • Contact
Corinne Sanchez
Chargée de Recherche au CNRS – UMR5140, Archéologie des Sociétés Méditerranéennes
[email protected] [2]
Tel : 04 67 15 61 25

 

 

Légende des images :

« épave » : Épave de la fin du IVe s. de n. è. avec une partie de son chargement découverte à Mandirac, au sud de Narbonne. Sur la droite, on aperçoit les membrures du navire qui transportait des amphores d’Afrique du nord et du sud de l’Espagne.

« quai » : Vue générale d’une partie des quais de l’embouchure de l’Aude dans la zone de Mandirac/Castélou (Narbonne, Aude)