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Mieux appréhender les modalités de fonctionnement des lagunes : une approche interdisciplinaire innovante développée sur la lagune de Biguglia

Reconstituer les trajectoires évolutives passées des hydrosystèmes lagunaires peut s’avérer riche d’informations pour mieux appréhender les conditions de fonctionnement de ces zones humides soumises à de multiples pressions anthropiques et climatiques. Cette étude combine des investigations historiques, géographiques, hydrogéologique et écologiques afin de fournir un diagnostic critique sur le bassin versant de la lagune de Biguglia (Haute-Corse). Une approche méthodologique est proposée permettant de transposer ce questionnement aux autres ensembles lagunaires méditerranéens du même type.

Réserve naturelle de l’Etang de Biguglia (Haute-Corse) © Frédéric Huneau

Les lagunes côtières offrent un large éventail d’activités écologiques, culturelles et économiques, également appelées services écosystémiques, dont les sociétés humaines profitent. En tant qu’environnement de transition, ces composantes complexes du littoral font partie intégrante de grands hydrosystèmes socio-écologiques, caractérisés par un environnement biophysique hautement dynamique soumis en permanence aux changements et dont les activités humaines font partie intégrante. Ces dernières influencent le comportement des lagunes et de leurs bassins versants depuis des décennies et contribuent à conditionner la morphologie et la qualité des lagunes actuelles, en faisant un patrimoine éco-culturel riche et singulier.

Les lagunes côtières ont pourtant subi de graves dégradations environnementales en raison des activités anthropiques développées dans les zones côtières telles que l’eutrophisation, les pollutions ou les destructions d’habitats. Depuis la prise de conscience croissante de l’importance des écosystèmes lagunaires côtiers dans les années 1950, la protection, la préservation et même la restauration de ces milieux est devenue un enjeu majeur. Cependant, les stratégies de gestion sont souvent axées sur les eaux de surface et excluent les autres principaux apports d’eau douce comme la contribution, souvent essentielle, des aquifères. Même si, dans la plupart des cas, les eaux des lagunes sont le fruit d’apports directs ou indirects d’eaux souterraines et constituent donc des écosystèmes dépendants des eaux souterraines. L’importance des eaux souterraines est d’autant plus exacerbée dans les régions côtières méditerranéennes où le manque saisonnier d’eau de surface est combinée à une forte pression anthropique.

Les États membres méditerranéens de l’UE ont mis en œuvre des mesures pour la protection des lagunes côtières dans le cadre de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE, 2000/60/CE). Ces mesures peuvent impliquer des interventions humaines (restauration active) pour optimiser et accélérer la restauration des hydrosystèmes lagunaires côtiers. Cependant, une grande majorité des lagunes méditerranéennes n’ont toujours pas atteint les objectifs écologiques et le « bon état » chimique exigé par la DCE. Plusieurs questions ainsi se posent :

i) Quelle a été l’évolution des lagunes côtières dans le passé et comment ces systèmes peuvent-ils être restaurés ?

ii) Les mesures de gestion précédentes ont-elles toujours eu l’effet attendu ?

iii) Comment évaluer avec pertinence la réponse du système aux actions humaines et que faudra-t-il faire à l’avenir ?

Pour répondre à ces questions, cette nouvelle étude propose une stratégie d’investigation innovante et pluridisciplinaire, comportant une approche à long terme tenant compte de l’évolution historique des écosystèmes lagunaires et de l’ensemble de leur bassin versant (surface, sous-sol, eau). La reconstitution de l’évolution des ressources écologiques, hydrologiques et socio-économiques, aussi appelée «trajectoire», permet d’évaluer l’influence d’événements naturels et anthropiques passés qui ont affecté l’hydrosystème et engendré des réponses environnementales. Les conditions de bon fonctionnement des hydrosystèmes, c’est-à-dire l’ensemble des facteurs qui contribuent au maintien de la fonctionnalité de la lagune côtière, qu’ils soient écologiques, hydrologiques, sociaux ou politiques peuvent ainsi être déterminées grâce à cette approche intégrée.

Cette méthodologie a été appliquée à l’hydrosystème de la lagune de Biguglia (Haute-Corse, France) en tant qu’exemple particulièrement pertinent des hydrosystèmes méditerranéens de l’UE. Tout d’abord, il est représentatif des politiques de gestion, ainsi que des outils réglementaires et législatifs mis en œuvre dans l’UE dans le cadre de la DCE. L’hydrosystème de la lagune de Biguglia combine à la fois des conditions de développement socio-économique et des conditions hydroclimatiques tout à fait caractéristiques des régions côtières méditerranéennes. Enfin, cet hydrosystème est extrêmement bien documenté, avec des archives historiques sur les 200 dernières années offrant ainsi la possibilité d’appréhender les dynamiques de changement dans le fonctionnement hydrologique et écologique de l’ensemble lagunaire et de son bassin versant associé ainsi que l’histoire de sa gestion et de sa gouvernance. Cet apprentissage à partir du passé permettra la mise en œuvre d’un système d’évaluation plus pertinent des mesures de restauration, en mesure d’assurer l’intégrité future des hydrosystèmes lagunaires côtiers au sein de leur espace de fonctionnement dans son entièreté.

En conclusion, l’approche multidisciplinaire innovante à long terme développée dans cette étude permet de mieux évaluer l’influence des actions de gestion passées et soutient la mise en œuvre de futurs plans de gestion pertinents basés sur les hydrosystèmes qui doivent être coordonnées et politiquement conduites. Elle accompagne la mise en place d’une gestion intégrée des ressources en eau en considérant les lagunes et leurs modalités de bon fonctionnement hydrologique, écologique et sociétal. De plus, la prise en compte de la nature dynamique des hydrosystèmes lagunaires côtiers est essentielle pour définir des objectifs pertinents de restauration et de gestion. Les conditions stables des valeurs de référence de la DCE figent l’hydrosystème dans un état passé, statique, déconnecté des impacts de l’aménagement du territoire et du changement climatique, considérant l’homme comme l’élément perturbateur majeur. Les objectifs de restauration devraient garantir que les fonctions écologiques sont maintenues en fonction des avantages et des utilisations actuels et futurs de l’écosystème. De fait, l’état d’un écosystème ne doit pas seulement être évalué sur des critères écologiques mais aussi prendre en compte des indicateurs socio-économiques et politiques. Dans tous les cas, compte tenu du caractère très imprévisible des hydrosystèmes lagunaires côtiers, les mesures de restauration peuvent conduire à des résultats inattendus qui ne constituent pas forcément un échec des mesures de gestion. La mise en œuvre du 3ième plan de gestion des bassins versants de la DCE dès 2022 pourrait être l’occasion appropriée de réorienter les objectifs de restauration vers des objectifs plus réalistes et de donner plus de sens à la définition de la «capacité de résilience» des masses d’eau à la place d’objectifs de restauration parfois peu appropriés.

 

EROSTATE M., GHIOTTI S., HUNEAU F., JOUFFROY D., GAREL E., GARRIDO M., PASQUALINI V. (2022). The challenge of assessing the proper functioning conditions of coastal lagoons to improve their future management. Science of The Total Environment, 803, 150052. [ 10.1016/j.scitotenv.2021.150052 [1] ]

Frédéric HUNEAU, Vanina PASQUALINI
Professeurs des Universités
Université de Corse, CNRS UMR 6134 SPE, projet Gestion des eaux en Méditerranée.
[email protected] [2] ; [email protected] [3]

Stéphane GHIOTTI
Directeur de Recherches CNRS
Laboratoire Acteurs, ressources, territoires dans le développement (Art-Dev), CNRS UMR 5281, Université Montpellier 3, Site Saint-Charles, route de Mende, 34190 Montpellier cedex 5
[email protected] [4]

Marie GARRIDO
Observatoire Régional des Zones Humides de Corse
Pôle-relais lagunes méditerranéennes
Office de l’Environnement de la Corse
[email protected] [5]
04 95 50 99 41

 

Cette recherche s’est déroulée dans le cadre de l’Observatoire Hommes-Milieux Littoral Méditerranéen (OHM LM) du CNRS avec l’aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du Labex DRIIHM, programme « Investissements d’avenir » (ANR-11-LABX-0010). Elle a aussi bénéficié du soutien de la Fondation de France dans le cadre de son appel à projet « Quels littoraux pour demain ? » – Projet ResEaur’Lag – et de la Collectivité de Corse via le projet GERHYCO.