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Minimiser l’utilisation des platelages : réflexion d’un paysagiste pour un aménagement « plus léger » des zones humides

Propos d’Alain Freytet, paysagiste conseil

Date de publication : 23/03/2015

Résumé

Les gestionnaires de milieux humides font régulièrement appel à des aménagements de type ‘platelage’ pour canaliser la fréquentation du public et éviter ainsi le piétinement d’habitats naturels. Alain Freytet, paysagiste libéral, paysagiste conseil pour le Conservatoire du littoral et DREAL PACA, nous livre ici ses réflexions pour limiter le recours à de tels aménagements et propose de privilégier une approche sensible laissant place à un contact plus direct avec le milieu naturel et l’imaginaire…

Plusieurs aménagements alternatifs en image sont exposés.

 

Risque de banalisation sur les zones humides

Il semble que l’aménagement d’un site de marais, de lagune, de berges ne puisse plus se faire sans déployer de longs platelages en rupture avec le caractère naturel du site. La construction de longues passerelles entraine une banalisation des zones humides. Qu’est ce qui ressemble plus à un platelage qu’un autre platelage ? L’attention, captée par ces ouvrages ne se porte plus sur l’ambiance, le milieu, le paysage. Le bruit des pas sur le bois fait fuir les oiseaux. Les planches souvent glissantes rendent parfois la progression délicate ce qui crée souvent des sentiers parallèles.

Ces constructions assez coûteuses en investissement et en entretien, sont hélas très à la mode par leurs aspects très graphiques. Elles semblent vouloir absolument montrer l’effort consenti pour «aménager » la nature. Ces aménagements rassurent et rappellent le jardin et le parc urbain. Quand le platelage est associé à un pupitre « d‘interprétation », le caractère artificiel est encore plus marqué.

 

Une mise à distance

Ces platelages contribuent à détacher le promeneur du sol. Ces aménagements très urbains mettent à distance le promeneur de l’objet de sa visite. Le visiteur est comme assisté sans possibilité de prendre son autonomie dans sa relation avec la nature. Ces aménagements dispensent un étrange message : pour l’homme, le sol humide du marais est dangereux, anxiogène, repoussant et pour la nature, l’homme qui tasse et piétine le milieu constitue une contrainte et une menace. Ce message est inverse à celui que l’on tente souvent de faire passer : celui d’une relation harmonieuse, directe et sensible entre l’homme et la nature.

 

Rester au contact de l’eau et du sol

Les sols humides sont mous, fragiles ou instables et il n’est nul besoin de vouloir aller partout. Lors d’un projet d’ouverture au public il peut être choisi de ne pas pénétrer dans certains lieux fragiles et ainsi éviter ces aménagements. On peut également accepter que certains sentiers soient submersibles ou franchissent de simples gués de pierre sur un ruisseau ou un fossé. En limitant ces ouvrages de franchissement, en frôlant les zones humides sans y pénétrer, en utilisant quelques digues ou talus, les projets sur les zones humides pourraient favoriser de façon plus subtile le contact direct avec l’eau et la matière. Toucher la terre, le sol, sentir son contact, son onctuosité, sa souplesse fait partie de l’expérience que l’on tire de la découverte d’un site. Loin du bruit des pas sur un plancher, le chant des oiseaux, le souffle du vent dans les frondaisons, le plongeon d’un animal, se font plus présents. La nature se fait plus proche. L’ensemble des sens et notamment ceux du toucher et de l’ouïe nous font entrer en paysage sans béquille ni carapace.

 

Laisser place à l’imaginaire

Le long d’un petit sentier traversant un marais, longeant une roselière, l’imaginaire peut se déployer. Le marais que l’on explore ne semble pas avoir changé depuis les temps les plus anciens. On peut imaginer être sur la trace d’un animal ou d’un personnage réel ou fabuleux, le rencontrer peut-être. Les lieux qui ne semblent pas avoir été ni aménagés et ni organisés se livrent dans leur nature propre.

Le sentier qui peut avoir été aménagé peu de temps auparavant, semble avoir toujours existé. Le paysage est là, à portée de main. N’est-ce pas cette émotion que nous souhaitons faire partager ?

 

Alain Freytet

[email protected] [1]

paysagiste d.p.l.g.

Retrouvez ci-dessous quelques alternatives…

 

Sur le sentier d’interprétation de la lande du Puy de la Croix sur les bords du Lac de Vassivière en Limousin, le franchissement de la lande humide se fait sur un cheminement légèrement rehaussé. Les écoulements sont assurés par des revers d’eau en pierre et quelques petites passerelles. Le sentier garde un contact direct avec le milieu. (Projet du Conservatoire du Littoral, maîtrise d’œuvre Alain Freytet)

 

Ce sentier qui mène à l’affût des hérons sur la Réserve Naturelle de l’Etang de Lande en Creuse a réutilisé un ancien chemin rural. Les remblais dans la zone humide ont été enlevés.

 

L’ornière du chemin, côté étang, a été creusée et transformé en fossé pour éviter la dispersion des visiteurs et le dérangement des oiseaux. L’autre ornière a été stabilisée pour devenir un sentier exclusivement pédestre. Après un an, la végétation a repris ses droits et le sentier semble avoir toujours existé.

  Cette solution est une alternative à des aménagements de type platelage plus lourds, notamment en entretien. (Projet du Conseil général de la Creuse, maîtrise d’œuvre Alain Freytet)

 

  

Dans le site de Roccapina en Corse du Sud, le schéma d’intentions paysagères prévoit l’abandon de la piste accédant au rivage au profit d’un cheminement pédestre. Le tracé de la piste sur le bord du marais est délaissé pour permettre au marais s’étendre après décompactage des sols. Le sentier sera créé un peu plus haut dans le maquis, hors zone humide. Situé à une juste altitude, il profitera de superbes fenêtres sur le paysage. Le choix du platelage au droit de la piste a vite été écarté. (Projet du Conservatoire du Littoral, Mission conseil d’Alain Freytet)

 

 

Dans l’Agriate en Haute Corse, sur le bord des marais de Saleccia, le sentier reste très naturel sans apport de matériaux ni platelage. Quelques ganivelles basses à certains endroits permettent de guider les promeneurs pour éviter l’érosion de la dune et le dérangement des oiseaux du marais. Ces quelques interventions restent discrètes et éphémères. L’attention se porte sur la beauté du paysage et sur le vol des oiseaux. (Projet du Conservatoire du Littoral, mission conseil d’Alain Freytet)

 

Référence sur le travail d’Alain Freytet sur les sites du Conservatoire du Littoral :

Guide méthodologique : les paysages du conservatoire du littoral. De la reconnaissance au projet [2]