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Mortalité des phanérogames : l’importance d’un réseau d’interactions mutualistes comme pouvoir tampon contre le stress des sulfures

Comment s’en servir pour développer un nouvel outil de gestion visant à renforcer la résilience des herbiers envers le réchauffement climatique ?

Date de publication : 13/12/2015

Les prairies de phanérogames marines sont renommées pour leur grande importance pour la biodiversité marine et les services qu’elles rendent à la société en termes de stockage du carbone, de régulation des cycles d’éléments nutritifs et de protection côtière.

Malheureusement, les phanérogames marines ont régressé dans les dernières décennies et restent toujours très menacées par l’impact des développements sur le littoral et le réchauffement climatique. L’accumulation du sulfure dans le sédiment a été évoqué comme une raison expliquant la mortalité de ces plantes car ce sulfure produit par certaines bactéries en anaérobiose est un toxique pour les plantes.

De ce fait, la compréhension des processus écologiques qui déterminent la croissance et la résilience des phanérogames marines représente un défi de taille dans les domaines de l’écologie marine, de la conservation  de la biodiversité et la restauration écologique. Le projet de recherche post-doctoral de Matthijs van der Geest à l’unité MARBEC a pour objectif d’étudier les interactions tripartites entre les phanérogames marines, les bivalves du genre Loripes et les bactéries sulfo-oxydantes symbiontes qui vivent dans les branchies de ces bivalves. Ces interactions tripartites représentent un réseau d’interactions de type mutualiste (bénéfique pour tous les membres) et permet probablement de protéger les phanérogames marines contre l’effet mortel de l’accumulation des sulfures dans leur habitat sédimentaire.

Stress des phanérogames causé par le sulfure

L’accumulation des sulfures dans les sédiments côtiers a été évoquée comme une des raisons principales expliquant la mortalité de ces phanérogames enracinées dans le sédiment. Par quels phénomènes ces sulfures s’accumulent ils ?

Les courants s’atténuent au sein des herbiers de ces plantes, ce qui explique pourquoi ces herbiers piègent de grandes quantités de matière organique à partir des suspensions dans l’eau. Le manque d’oxygène dans ces sédiments entraîne alors une dégradation majoritaire de la matière organique en anaérobiose : des bactéries sulfato-réductrices convertissent alors les sulfates dissous dans l’eau de mer en sulfure.

Le sulfure, hautement toxique pour la plupart des plantes et animaux, peut s’accumuler ainsi dans les eaux interstitielles du sédiment. 

Contre ce fléau, les plantes ont mis en place une stratégie de protection en assurant un transport de l’oxygène dans leurs racines qui s’échappe dans la rhizosphère et permet ainsi d’éviter l’exposition des plantes aux sulfures.

En revanche, les conditions d’eutrophie et de températures plus élevées stimulent très fortement le taux de production des sulfures par les bactéries. Le transport de l’oxygène peut alors s’avérer être insuffisant et les plantes subissent ainsi l’intrusion de sulfures toxiques dans leurs tissus, causant un stress important et leur mortalité. Ce phénomène risque d’augmenter dans le futur à cause de l’augmentation de la température liée au réchauffement climatique, combinée avec l’eutrophisation croissante de la zone côtière.

Comment les réseaux d’interactions mutualistes peuvent aider à protéger les plantes ?

Des études expérimentales dans les systèmes tropicaux, dont notamment le Banc d’Arguin en Mauritanie, ont mis en évidence comment une véritable symbiose tripartite entre i) les phanérogames marines, ii) les bivalves du genre Loripes, et iii) les bactéries sulfo-oxydantes qui vivent dans les branchies de ces bivalves, peut modérer l’impact des sulfures produites dans le sédiment. 

La symbiose entre le bivalve et ses symbiontes sulfo-oxydantes contribue à oxyder les sulfures et à diminuer ainsi le stress sur les plantes.

En contrepartie, les bactéries sulfo-oxydantes et leur hôte, le bivalve, bénéficient du transport de l’oxygène par les plantes vers la rhizosphère (voir Fig. 1).

    

Figure 1. Schéma des interactions écologiques et biogéochimiques au sein d’un sédiment d’un herbier de zostères (adapté d’après Van der Geest, 2013). Lors du processus de la dégradation de la matière détritique, les bactéries sulfato-réductrices produisent du sulfure d’hydrogène (H2S), un composé très toxique pour la plupart des plantes et animaux. Ce sulfure est adsorbé par le pied d’un bivalve du genre Loripes et transporté vers ses branchies. En même temps, l’oxygène (O2) et le dioxyde de carbone (CO2) sont absorbés à travers le siphon inhalant et acheminés également vers les branchies où les bactéries symbiotiques oxydent le H2S avec l’O2 et utilisent l’énergie obtenu pour fixer le CO2 via le cycle de Calvin. Ce mécanisme crée de la nourriture qui sera utilisé à la fois pour la croissance des bactéries symbiontes et leur hôte le bivalve et permet, en même temps, de diminuer le stress pour les plantes en diminuant les teneurs en H2S dans les sédiments. 
 
 

Objectifs de recherche du projet post-doctoral

Le projet de Matthijs van der Geest est financé par le LabEX-CeMEB [1] à l’Université de Montpellier et se réalise à l’unité MARBEC [2].

Ce projet a les objectifs suivants :

1) étudier le rôle écologique du réseau des interactions mutualistes entre phanérogames marines, bivalves du genre Loripes, et bactéries sulfo-oxydantes pour le fonctionnement des herbiers de phanérogames marines en zone méditerranéenne,

2) tester l’hypothèse selon laquelle ces interactions tripartites favorisent la résilience des phanérogames envers le réchauffement climatique et l’eutrophisation, et

3) identifier les opportunités pour une gestion proactive qui cible le renforcement du réseau des interactions tripartites et sa vigueur pour la santé des herbiers.

A partir de ces objectifs plus généraux quatre questions spécifiques pour la recherche sont définies :

I) Est-ce que le taux d’intrusion des sulfures sédimentaires dans les tissus des plantes, mesurant le stress généré par les sulfures, est très variable dans l’espace lagunaire et dans le temps ?

II) Est-ce qu’il existe un lien entre la présence du réseau d’interactions mutualiste tripartite, et sa vigueur d’un côté et le stress et la mortalité des phanérogames marines ?

III) Quels sont les facteurs environnementaux qui déterminent la présence du réseau d’interactions mutualiste tripartite, et sa vigueur d’un côté et la santé des herbiers de phanérogames marines ?

IV) Dans quelle mesure le réseau d’interactions mutualiste tripartite peut-il contribuer à la résilience des phanérogames marines envers le réchauffement climatique et l’eutrophisation ?

Hormis l’expérimentation au laboratoire et la simulation mathématique, nous allons réaliser des études de terrain dans les herbiers de Zostera noltei (voir Fig. 2) dans les lagunes côtières du Golfe de Lion. Dans ces lagunes, des herbiers de Z. noltei se trouvent entre 0-1 m de profondeur et à plusieurs endroits nous avons observé le bivalve Loripes lucinalis2 (voir Fig. 3) avec  des bactéries sulfo-oxydantes dans leur branchies3.

Figure 2. Zostera noltei dans l’Etang de Thau.
Figure 3. Bivalve, Loripes lucinalis, souvent abondant dans les sédiments des herbiers de Zostera noltei dans les lagunes méditerranéennes.

Résultats escomptés pertinents pour la gestion des herbiers

Notre étude de terrain devra fournir un cadre référentiel qui décrit les teneurs en sulfures dans  les sédiments des herbiers de Z. noltei des lagunes qui seront étudiés, pour le printemps et l’été. De plus, notre étude permettra de vérifier ou infirmer le rôle écologique du réseau des interactions mutualistes pour la santé des herbiers en zone méditerranéenne.

Dans la bibliographie scientifique, de plus en plus de cas montrent qu’une gestion adaptée au niveau local peut éviter qu’on surpasse le seuil des conditions qui induisent un crash des écosystèmes, comme par exemple la mortalité des herbiers. Nous espérons qu’à l’achèvement de notre étude, nous serons capable de fournir les données empiriques et la théorie qui permettront aux gestionnaires de s’appuyer sur le réseau des interactions mutualistes pour mettre en place une gestion ciblée pour diminuer les facteurs de stress sur les herbiers de phanérogames marines et de renforcer ainsi leur résilience.

 

Vous êtes très bienvenus pour nous contacter pour toute demande d’information. Nous cherchons également des bénévoles motivés qui souhaitent contribuer à notre étude (particulièrement entre avril et octobre 2016).

Matthijs van der Geest (UMR MARBEC)

Tel: 0787148431, Email: [email protected] [3]

Page web de Matthijs van der Geest [4]

 

van der Heide, T., Govers, L. L., de Fouw, J., Olff, H., van der Geest, M.et al. (2012) A three-stage symbiosis forms the foundation of seagrass ecosystems. Science336, 1432-1434.

Rossi, F., Colao, E., Martinez, M. J., Klein, J. C., Carcaillet, F.et al. (2013) Spatial distribution and nutritional requirements of the endosymbiont-bearing bivalveLoripes lacteus (sensu Poli, 1791) in a Mediterranean Nanozostera noltii (Hornemann) meadow. J. Exp. Mar. Biol. Ecol. 440, 108-115

van der Geest, M., 2013. Multi-trophic interactions within the seagrass beds of Banc d’Arguin, Mauritania: a chemosynthesis-based intertidal ecosystem, PhD Thesis, University of Groningen, Groningen, The Netherlands