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Pêches expérimentales sur le Crabe bleu à l’étang de Canet

Un appui du comité régional des pêches pour suivre l’invasion en 2021

En 2021, le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins d’Occitanie (CRPMEMO) en coopération avec les pêcheurs des étangs de Canet, de La Palme et Leucate ont mené une expérimentation visant une capture efficace du crabe bleu au moyen de filets traditionnels. Les résultats sur les étangs de La Palme et de Leucate ont été très succincts, les verveux utilisés se révélant peu efficaces. Sur l’étang de Canet, les capéchades choisies se sont montrées plus efficaces et ont révélé l’augmentation des captures dès juillet très préoccupante pour la poursuite des activités de pêche traditionnelle.

Le crabe cause de nombreux dégâts sur les poissons(© CRPMEMO)

Source : Rapport de stage de Léna CROIZER : « Test d’engins de pêche sur l’espèce invasive de crabe bleu, Callinectes sapidus, dans trois lagunes d’Occitanie ». Mémoire de Master 2 Gestion de l’Environnement – Parcours Gestion Intégrée du Littoral et Valorisation Halieutique.

Le premier signalement de Callinectes sapidus et la croissance rapide de sa population dans les lagunes d’Occitanie depuis 2017 est une source d’inquiétude grandissante pour de nombreuses personnes dans la région mais également sur l’ensemble du littoral méditerranéen français. L’espèce, originaire des côtes de l’Atlantique Ouest, est très appréciée pour sa chair, mais est devenue très problématique en dehors de son aire de répartition naturelle. Elle engendre de nombreux dégâts sur la biodiversité locale et cause des dommages importants aux filets des pêcheurs artisanaux ainsi qu’à leurs prises, les rendant bien souvent invendables et entrainant des pertes de temps et financières.

Sous le spectre d’une invasion de cette espèce à plusieurs lagunes d’Occitanie, de premiers tests pour le capturer ont été réalisés en 2020 par le Cépralmar et le Parc naturel marin du Golfe Lion. Ils ont employé différents types de casiers appâtés, déjà utilisés aux Etats-Unis, en Espagne et en Tunisie où la présence de l’espèce est très importante et où son commerce est développé. Ces tests se sont révélés concluants dans certains cas en bassin mais ont été totalement inefficaces en lagune. Il est supposé que la quantité de nourriture est encore suffisante pour nourrir la population de crabes dans le milieu, par conséquent que cette solution n’est pas encore envisageable dans la région. En revanche, les filets traditionnels (verveux et les capéchades) avaient capturé de nombreux crabes bleus les années précédentes mais ceux-ci les avaient fortement dégradés, les rendant inutilisables pour la pêche des poissons. Face ce constat, et après discussion avec les instances de gestion et de protection du milieu marin en région, le CRPMEMO s’est dirigé vers une étude expérimentale portée en partenariat avec des prud’homies de 3 lagunes (La Palme, Salses – Leucate et Canet – St Nazaire) et le Cépralmar.

Mise en place d’un projet de test d’engins de pêche sur 3 lagunes d’Occitanie

L’objectif de cette étude visait à  comparer l’efficacité des différents engins de pêche pour le crabe bleu, cela permettra à terme de conseiller le ou les dispositifs qui permettront de limiter au mieux sa propagation sur le littoral méditerranéen. Le CRPMEMO a alors réfléchi, en collaboration avec une dizaine de pêcheurs travaillant sur les 3 lagunes, à l’élaboration de 4 nouveaux engins de pêche sous la forme de verveux et de capéchades plus résistants (entre 0,5 et 1 m² de filet traditionnel détruit par crabe) et efficaces quant à la capture de Callinectes sapidus.

Cette étude a été intégrée dans un projet d’une durée de deux ans (2021 – 2022) porté par le CRPMEMO et soutenu par la région Occitanie et le FEAMP (Fonds Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche) à hauteur de 40% chacun et avec 20 % d’autofinancement du CRPMEMO Occitanie. Ces financements ont été répartis entre l’achat de nouveaux filets verveux conçus spécifiquement pour la capture du crabe bleu, les frais de déplacements et l’emploi de 2 stagiaires sur la durée du projet. Les tests utilisant les verveux et les capéchades ont été réalisés en coopération avec les pêcheurs des 3 étangs concernés qui ont apporté leurs savoir-faire afin de mener au mieux ces expérimentations.

Durant cette phase expérimentale, le stage mené par Lena Croizer a permis de lever l’information de capture suivant le type de filet calé en lagune. Les données ont ainsi été récupérées auprès des pêcheurs et des gestionnaires des 3 lagunes pour être par la suite analysées et interprétées afin de consolider les méthodes de captures.

2 tests différents entre lagunes 

Les pêcheurs de La Palme et de Leucate se sont dirigés vers des verveux de deux maillages différents (20 et 40 mm) dont la réalisation a été confiée à l’entreprise ROUDIER, tandis que ceux de Canet ont préféré réaliser eux-mêmes leurs filets sous forme de capéchades.

Les conditions et le nombre de tests réalisés avec les verveux dans les étangs de La Palme et de Leucate n’ont pas été optimaux en comparaison de ceux effectués sur l’étang de Canet. Cependant les résultats obtenus sur l’efficacité des deux types de filets sont assez équivoques malgré un nombre restreint de verveux calés sur les étangs de La Palme et de Leucate. Pour La Palme, cela s’explique notamment par des conditions environnementales particulières (étang dont le niveau d’eau était très bas en 2021) qui ont limitées grandement les zones de calage possibles. Les verveux ont démontré une très faible efficacité de pêche et risqueraient, d’après les pêcheurs, de ne pas résister très longtemps aux crabes et aux conditions du milieu.

Les capéchades calées sur l’étang de Canet se sont révélées beaucoup plus efficaces, pêchant quelques individus dès le mois de Mai et capturant parfois plus de 2 000 individus par jour répartis sur une dizaine de filets

 

Évolution mensuelle du nombre de captures de Callinectes sapidus à l’étang de La Palme (à gauche) et à l’étang de Canet (à droite)

Les capéchades, malgré un fil très épais, ont été fortement endommagés par les attaques des crabes, et se trouvent après une année presque inutilisables. Il serait donc intéressant de se baser sur ce modèle de filet pour continuer les expérimentations, tout en y apportant des modifications, notamment pour le diamètre du fil. Divers points restent cependant à améliorer, notamment l’utilisation d’un maillage de 10 mm plus efficace pour capturer le crabe bleu mais qui entraine également une pression de pêche plus importante sur certains poissons tels que l’anguille, ce qui n’est pas recherché ici. Le choix du maillage des filets devrait donc être adapté en fonction de la saison et de la taille des crabes.

Afin de déterminer les tailles et les périodes les plus appropriées, il sera nécessaire d’obtenir des connaissances plus précises sur l’espèce (période de reproduction, de ponte ; évolution de la croissance, etc.) ainsi que des précisions sur les localisations précises des différents stades capturés. En attendant, que ces études soient menées et permettent de prendre les décisions qu’il convient, les pêcheurs de l’étang de Canet, proposent l’utilisation d’un maillage 30 mm pour la paradière (contre 40 mm actuellement) et d’un maillage 25 mm pour les filets (intermédiaire entre le maillage 30 mm de départ et 10 mm pour pêcher l’anguille).

Schéma des capéchades réalisées par les pêcheurs de l’étang de Canet (© CRPMEMO)

 

Un retour d’expérience pouvant servir à d’autres territoires…

L’implication importante des pêcheurs de cet étang et du CRPMEMO, a joué un rôle important dans la compréhension de l’espèce et de ses habitudes mais il reste encore de nombreux points à éclaircir quant à sa biologie et son écologie en Méditerranée en mer et en lagunes. Les analyses de données réalisées afin de corréler ou non les captures avec les paramètres physico-chimiques des lagunes ont mis en avant la salinité et l’oxygénation de l’eau comme favorisant la croissance de la population mais ces résultats seraient à confirmer à l’aide de suivis plus poussés sur la biologie et l’écologie de l’espèce.

Évolution des paramètres physico-chimiques de l’étang de La Palme lors de captures de crabe bleu

L’exploitation soutenue de cette ressource, tout en tenant compte qu’elle ne doit pas être considérée comme une source durable de revenus, est une solution pour limiter fortement l’espèce. Le suivi de la propagation du crabe bleu et de ses impacts est donc essentiel afin de maintenir une pêche durable des espèces locales. Dans cette optique, la sensibilisation des pêcheurs peut s’avérer essentielle à leur compréhension des conséquences possibles de son établissement dans le milieu. En cas de viabilité des engins de pêche au terme de ce projet basé sur les lagunes d’Occitanie, le matériel et les méthodes pourront être reproduits sur d’autres lagunes méditerranéennes impactées par le crabe bleu afin de maintenir au mieux leur biodiversité d’origine et d’aider les pêcheurs locaux à valoriser ces prises sans les mener à l’exploitation durable de l’espèce.

Contact :

Thomas Sérazin, Chargé de mission « Pêche & Environnement », CRPMEM Occitanie
[email protected] [1]

Julien Bavière, Stagiaire (Master 2 Gestion des Mers et des Littoraux à l’Université de Montpellier) pour étudier les tests de filets de pêche du crabe bleu (seconde année). [email protected] [2]