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Vers une cartographie plus fine des habitats naturels

Une méthode de télédétection par segmentation appliquée avec succès à la Tour du Valat

Connaître la distribution, l’agencement des habitats naturels dans le paysage est une étape phare de la mise en œuvre de politiques de conservation de la biodiversité. Gestionnaire d’un domaine de près 2700 hectares, la Tour du Valat développe depuis de nombreuses années des programmes de recherche sur les zones humides méditerranéennes et propose des méthodes innovantes de gestion. En 2018, dans le cadre du futur plan de gestion, la cartographie des habitats naturels du domaine a été réalisée en proposant une méthode novatrice, semi-automatique mêlant segmentation, photo-interprétation et relevés phytosociologiques localisés : alternative aux méthodes entièrement manuelles.

BESOINS EN CARTOGRAPHIE

Quatorze ans après la précédente étude[1] [1], il paraissait nécessaire d’actualiser le travail de cartographie, fournir des outils et une méthode facilement reproductible pour les fois suivantes et faire l’état des lieux actuels des végétations du domaine selon les typologies réglementaires existantes : Natura 2000 et EUNIS (European Union Nature Information System). Outil d’accompagnement et d’aide à la décision pour la gestion des milieux les cartes permettront de suivre à long terme les habitats en reproduisant la méthode proposée.

APPROCHE DE LA MÉTHODE PAR SEGMENTATION

Le processus informatique de segmentation de l’orthophotographie Couleurs (Rouge, Vert, Bleu) (BD Ortho®RVB IGN) et IRC (Proche InfraRouge fausses Couleurs) 50 cm 2017 (BD Ortho®IRC, IGN) a regroupé automatiquement dans des segments les pixels adjacents aux caractéristiques spectrales similaires.

Développés dans le cadre du projet SWOS [2] (The Satellite-based Wetland Observation Service), les outils du logiciel de télédétection de la cartographie des zones humides GEOclassifier GUI v1.4.8[2] [3] et ArcGISTM 10.4 (2015) ont été utilisés. Il est possible de modifier les paramètres[3] [4] de segmentation en fonctions des besoins et l’utilisation des cartes attendues :

Figure 1 : Résultats de segmentation selon les paramètres choisis

La tolérance : permet de regrouper les pixels en segments en fonction de leurs caractéristiques spectrales.
La surface minimale cartographique : correspondant à la taille minimum des segments

La couche vectrice est ensuite intégrée dans ArcGIS afin d’assigner les polygones à une classe habitat.

DISTRIBUTION HETEROGENE DES HABITATS

Les milieux de la Tour du Valat sont complexes et très hétérogènes : mares temporaires, marais, montilles, grandes étendues de sansouïres, etc.

Le travail réalisé en 2018 a permis d’aboutir à une liste d’habitats identifiés sur le domaine amenée à évoluer : 9 habitats d’intérêts communautaires ont été répertoriés dont 3 prioritaires (incluant l’habitat 1150-2* lagunes côtières nouvellement répertorié) ainsi qu’un ensemble d’habitats non classés dans la Directive habitats.

Les cartes réalisées ont permis de représenter la distribution spatiale des habitats issue de la photo-interprétation de l’orthophotographie et relevés terrains. Dominés par des végétations de fourrés halophiles méditerranéens, ces groupements recouvrent 43,2% (978.9 ha) des surfaces déjà cartographiées en 2018 (2267.5 ha). Ils sont suivies par les prés-salés méditerranéens de hauts et bas niveaux qui représentent 8,4%, les fourrés ouest-méditerranéens de Tamaris représentent 6,1% (137,4 ha), les zones aquatiques des communautés à characées des eaux oligo-mésotrophes basiques recouvrent 5,8% (130,9 ha).

© A. Granger

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Comparaison des méthodes

Figure 2 : (A) IGN-F 1998 ; (B) IGN-F 2017 ; (C) Résultat de la cartographie 2004 sur fond IGN-F 1998 ; (D) Résultat de la cartographie 2018 sur fond IGN-F 2017

Mis à part l’interprétation des habitats très différente entres les deux années, la méthode testée en 2018 offre un temps de travail plus rapide et une précision des contours cartographiés bien plus importante. Basé sur la comparaison des habitats d’intérêts communautaires selon la Directive Habitat, le rapport entre le périmètre et la surface (P (Km))/S (Ha)) pour chaque polygone est significativement plus précis en 2018 et le périmètre total mesuré est 2,6 fois plus précis par segmentation que numérisation (Figure ci-dessus).

Dans le cadre de l’étude élaborée à la Tour du Valat, certaines limites ont été relevées : une segmentation des habitats visuellement hétérogène, une génération d’un grand nombre de polygones avec les paramètres choisis, des difficultés de photo-interprétation des habitats ou des successions végétales dues à l’utilisation d’une orthophotographie mono-date.

DES CARTES adaptées a l’aide à LA DÉCISION

Modulables, les paramètres du logiciel GEOclassifier GUI permettent aux utilisateurs de produire des résultats adaptés aux territoires et à leurs utilisations. Les cartes d’une grande précision peuvent servir d’outils d’accompagnements ou d’aide à la décision pour les gestionnaires afin de faire des suivis à long terme rendus possibles par la reproductibilité de la méthode par segmentation.

Tableau 1 : Avantages et inconvénients des deux méthodes dans le cadre de l’étude

Une équipe composée de quatre personnes (gestionnaire du domaine, botanistes, géomaticien) a travaillé collectivement pour aboutir à cette carte très fine des habitats naturels. Ce travail nécessite d’être en capacité de réaliser des expertises naturalistes en flore et de maitriser autant que possible les logiciels SIG[4] [6] (Système d’Information Géographique).

Bien que le temps passé à l’identification des polygones issus de la segmentation dépende en grande partie de la complexité des habitats (hétérogénéité des végétations, structure, stade phénologique, etc.), les outils d’ArcGIS ont permis de sélectionner très facilement et rapidement les entités voisines appartenant à une classe d’habitat.

 

Auteure : Amélie Granger, Master 2 – Aménagement du Territoire et Télédétection, Université Paul Sabatier – Toulouse III, [email protected] [7]

 

Maître de stage d’Amélie Granger : Damien Cohez, conservateur de la RNR de la Tour du Valat, [email protected] [8],

Suivi des habitats naturels : Hugo Fontès, ingénieur de recherche en écologie végétale, [email protected] [9],

Méthode de segmentation : Anis Guelmami, chef de projet SIG, télédétection et cartographie à l’Observatoire des zones humides méditerranéennes (Tour du Valat), [email protected] [10].

 

[1] [11] Dangre C. (2004). Diagnostic des habitats naturels du domaine de la Tour du Valat (Camargue, Bouches du Rhone). Définition d’enjeux et prospections d’action de gestion.

[2] [12] L’acquisition de la licence et du logiciel libre se font sur demande directe à la structure partenaire qui le développe (JenaOptronik) via le site du projet SWOS [13] : http://swos-service.eu/. E-mail : [email protected] [14].

[3] [15] L’orthophotographie est codée sur 8 bits il est possible d’attribuer 256 valeurs à chaque canal. La tolérance définit la différence maximale de ces valeurs acceptée dans chaque segment. Elle dépend du type d’image et la taille des segments souhaitée. La surface minimale cartographique est codée en nombre de pixels sous GEOclassifier GUI.

[4] [16] ArcGIS, QGIS