En Corse, l’invasion du Crabe bleu Callinectes sapidus poursuit sa progression, marquée par une forte variabilité spatiale et temporelle. Les travaux menés en 2024 et 2025, présentés lors de la 4e conférence interrégionale Crabe bleu à Mauguio, s’appuient sur une démarche de « recherche-action » étroitement liée aux besoins opérationnels des gestionnaires d’espaces naturels, des pêcheurs professionnels et des décideurs. L’objectif central est de comprendre les dynamiques de l’espèce pour mieux cibler les actions de lutte et optimiser la prise de décision.
Depuis 2023, la Corse développe des outils basés sur la tolérance haline du Crabe bleu, un paramètre déterminant de sa distribution (Marchessaux et al., 2024). La production régulière de cartes SHS (Salinity Habitat Suitability) et THS (Temperature Habitat Suitability) constitue aujourd’hui un outil stratégique pour apprécier la probabilité d’habitats favorables (situé entre 12 et 25 PSU), identifier les zones à risque et prioriser les interventions. Ces cartes, actualisées mensuellement ou annuellement, permettent d’adapter rapidement les actions en fonction des conditions hydrologiques, très fluctuantes dans les lagunes insulaires.
La collecte des données repose sur un vaste réseau d’observations (gestionnaires d’espaces protégés et FOGEC) couvrant plusieurs lagunes : Biguglia, Urbinu, Palu, Arasu, Santa Ghjulia, Balistra, Pisciu Cane et Testarella. Pour chacune, les gestionnaires disposent désormais d’un historique précis montrant l’évolution des conditions de salinité et de la favorabilité à l’installation du Crabe bleu. Les cartes actualisées pour 2024 et le début 2025 montrent des situations très contrastées d’une année à l’autre, confirmant la grande sensibilité des lagunes corses aux variations hydrologiques.
Les focus réalisés sur Pisciu Cane et Palu sont particulièrement révélateurs : dans certains cas, les conditions deviennent temporairement défavorables (e.g. assèchement, hypersalinité) et limitent de fait les actions de lutte ; dans d’autres, des fenêtres d’intervention s’ouvrent rapidement, nécessitant une forte réactivité des équipes. Cette variabilité rend indispensable une veille permanente associant gestionnaires d’espaces naturels et pêcheurs professionnels.
L’intégration des cartes dans la mise en œuvre du Plan territorial de lutte contre le crabe bleu (2024-2027) en Corse permet aujourd’hui une planification plus fine des actions de terrain. En 2025, plusieurs lagunes ont fait l’objet d’interventions ou de suivis renforcés :
- les lagunes de Biguglia et Palu dont la gestion est assurée par la Collectivité de Corse : actions de lutte à prévoir en 2026 et en cours de programmation ;
- Santa Ghjulia dont la gestion est assurée par l’OEC : actions mises en œuvre entre mai et juillet pour l’année 2025, avant l’assèchement de la lagune ;
- Arasu (gestion CdC) et Pisciu Cane (gestion OEC) : surveillance ou report des actions en raison de conditions défavorables (e.g. sursalinité, assèchement);
- Urbinu (gestion CdC), Balistra (privé) et Testarella (gestion OEC): suivis et décisions adaptés au cas par cas, en fonction des données collectées.
Les suivis biométriques, quant à eux, jouent un rôle essentiel pour déclencher au bon moment des opérations de pêche intensive, en cohérence avec les recommandations du PTL (2024-2027). Ces différents outils convergent vers une meilleure compréhension des dynamiques d’occupation du Crabe bleu dans les lagunes corses.
Cependant, plusieurs difficultés persistent. Les lagunes insulaires réagissent fortement aux variations environnementales, souvent amplifiées sur les lagunes de petites tailles (Ligorini et al., 2023). La mise en œuvre d’actions de lutte nécessite donc une adaptabilité constante. Pêcheurs professionnels et gestionnaires doivent ajuster leurs interventions selon des conditions parfois changeantes d’une semaine à l’autre. Malgré ces contraintes, le suivi de la salinité demeure un indicateur fiable pour déterminer quand et où intervenir.
Au-delà des aspects techniques, l’avancée des travaux souligne la nécessité de maintenir une gouvernance coordonnée et de renforcer la collaboration opérationnelle entre structures gestionnaires, pêcheurs et réseaux d’observation. Ensemble, ces acteurs donnent corps à une stratégie insulaire capable de s’ajuster rapidement aux dynamiques d’une espèce invasive dont les impacts écologiques et économiques continuent de croître.
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- Contacts
Marie GARRIDO – OEC
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Guillaume Marchessaux – IRD
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