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Lagunes de petite surface : des écosystèmes sentinelles

Les lagunes offrent de nombreux biens et services aux populations. Elles sont par conséquent au centre de nombreux enjeux socio-économiques. Ces écosystèmes constituent également des réservoirs de biodiversité et de productivité écologique. Cependant, il existe encore de nombreuses lacunes, notamment sur le fonctionnement des lagunes de petites tailles (taille < à 0,5 km²). Ces systèmes sont très nombreux à l’échelle mondiale. Ils peuvent se rencontrer aussi bien sur les côtes occidentales de l’Afrique, de l’Amérique du Nord, que sur les côtes sud-orientales de l’Amérique et de l’Australie, et en particulier en Méditerranée, comme en Espagne, en Grèce, en Italie ou encore en Corse.

1. Problématique, contexte et méthodologie

Ces petits systèmes sont peu connus et souvent peu protégés, malgré leur abondance. La caractérisation, qualitative et quantitative, de ces lagunes de petites surfaces, en termes de fonctionnement et de sensibilité aux changements globaux et locaux, est nécessaire pour développer des stratégies de gestion adaptées à ces milieux.

La Corse est particulièrement riche en lagunes côtières, toutefois, ces zones humides demeurent encore trop peu étudiées. Depuis 2019, l’Office de l’Environnement de la Corse a donc déployé une stratégie fixant la priorité sur la nécessité d’étudier ces petits systèmes, en raison de leur importance et de leur connaissance fragmentaire. Sur la base de cette stratégie, l’objectif principal de ce travail a été d’attirer l’attention de la communauté scientifique sur cet écosystème, dans l’optique de contribuer efficacement à la gestion future de ces milieux, au niveau régional mais aussi à une échelle plus large.

Pour répondre à cet objectif, deux actions ont été réalisées :

  1. une étude quantitative et descriptive de la présence des lagunes de petite surface le long du littoral Ce travail a été réalisé grâce aux données fournies par le Pôle Relais Lagunes Méditerranéennes/Tour du Valat et l’Office de l’Environnement de la Corse. Les résultats ont ensuite été comparés aux données disponibles dans la littérature sur les lagunes de la côte méditerranéenne ;
  2. et une étude pluridisciplinaire sur trois sites distincts : Arasu, Santa-Giulia et Balistra. Ces lagunes présentent des différences aussi bien morphologiques qu’anthropiques (respectivement fortement artificialisée/perturbée, moyennement perturbée et quasi-pristine).

Cet  état des lieux sur ces trois sites d’étude (Figure 1 [1]) a été réalisé à partir d’un suivi saisonnier de deux ans (2020-2021) et une approche pluridisciplinaire (écologique et hydrogéologique. La dépendance des plans d’eau lagunaires vis-à-vis de leurs connexions aux bassins versants, aux eaux souterraines et à la mer, rend nécessaire cette approche intégrée. Ainsi, la lagune est considérée comme un continuum hydrologique avec ses systèmes adjacents. Les plans d’eau eux-mêmes ont été étudiées sur la base de certains indicateurs du milieu : les caractéristiques physico-chimiques et le phytoplancton. Ce dernier, est particulièrement important pour tenter d’interpréter l’état et le fonctionnement du milieu. Le lien avec les bassins versants a été étudié à travers une approche hydrogéologique sur les eaux de surface et souterraines tributaires, en utilisant la concentration de nitrates comme indicateur d’éventuelles sources de pollution anthropique (en lien principalement avec l’urbanisation rurale). Enfin, les résultats ont été interprétés en prenant en considération les échanges avec la mer, évalués en fonction de l’état d’ouverture des graus et les activités d’entretien. De plus, l’impact de l’Homme a été pris en compte à travers une analyse semi-quantitative de l’évolution des impacts touristiques, passés et actuels, sur les sites.
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Figure 1. Localisation des trois lagunes. Les périmètres des bassins versants ont été précisés (a) ainsi que la localisation les stations d’échantillonnage pour chaque lagune (b). La carte indique également la géologie sommaire des sites ainsi que l’occupation urbaine sur chaque bassin versant.

2. La Corse : un site d’intérêt pour l’étude des lagunes de petite surface

L’étude constitue le premier inventaire des lagunes corses, avec leur description qualitative et quantitative en termes de nombre, taille, périmètre et localisation.

La Corse abrite 95 lagunes côtières le long de ses 1047 km de côte (Figure 2 [3]). La surface lagunaire totale couvre 32.81 km2. Seulement quatre lagunes ont une surface supérieure à 0.5 km2 (limite de taille des lagunes afin d’être suivi dans le cadre de la DCE) et couvrent une surface totale de 28.30 km2. Les 91 lagunes restantes ont des surfaces très variables. La plupart d’entre-elles (68 lagunes) présentent des surfaces inférieures à 0.05 km2 (Figure 2 [3]). Du fait de leur petite surface, ces lagunes ont une fort rapport périmètre/surface (Figure 2 [3]), qui fait que les interactions avec les systèmes adjacents et les effets des activités humaines sur les zones limitrophes sont amplifiés.
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Figure 2. Localisation des lagunes côtières en Corse (à gauche), quantification (histogramme, ordonnée gauche) et rapport périmètre/surface (points, ordonnée droite) et surface totale et pourcentage de surface (camembert) en fonction des classes de taille par surface.

3. Trois sites d’étude pour appréhender l’état et le fonctionnement écologique des lagunes de petite surface

Les résultats de nos travaux ont montré que malgré des contextes et fonctionnements différents (cf. article pour avoir les détails pour chaque site), les trois lagunes étudiées présentaient des tendances et traits communs et, en général, un niveau anthropisation faible. Toutefois, il existe une certaine vulnérabilité aux pressions croissantes et un risque de dégradation de ces systèmes dans le futur. Selon les observations, les lagunes d’Arasu et de Santa-Giulia semblent susceptibles d’être les plus sensibles aux changements locaux (e.g. urbanisation rurale) et globaux (changement climatique).

Grâce à la réalisation de ces travaux ayant permis le déploiement d’une approche intégrée et pluridisciplinaire sur 3 lagunes et durant 2 années (2020-2021), il a été démontré que :

  1. des phénomènes de dégradation sont visibles sur 2 des 3 lagunes suivies. Les lagunes d’Arasu et Santa-Giulia sembleraient être les plus impactées par la présence humaine, (e.g. présence de dinoflagellés nuisibles, observation de blooms phytoplanctoniques, faible diversité, variabilité importante des herbiers voir même absence dans certaines années/secteurs) (Figure 3 [5]) ;
  2. les petites lagunes sont particulièrement vulnérables aux pressions locales et globales(comme le changement climatique), spécialement celles dont la profondeur est faible comme Santa-Giulia (Figure 3 [5]) ;
  3. la connectivité des lagunes à leurs bassins versants et à la mer est fondamentale pour garantir un bon fonctionnement du système (Figure 3 [5]) ;
  4. et l’artificialisation, l’urbanisation rurale, l’augmentation de la pression touristique et les interventions non-autorisées sur les graus jouent un rôle dans l’état de santé de ces milieux et dans leurs perspectives de gestion (Figure 3 [5]).

4. Comment promouvoir la résilience naturelle du système et garantir sa future conservation ?

À travers ce travail, l’importance de l‘étude en lien avec le bassin versant a été mise en évidence : ceci doit être considéré par rapport (i) au fonctionnement hydrologique et (ii) à la présence humaine. L’occupation de sols, l’usage de l’eau et des potentielles sources de pollution sont liées à la présence humaine sur les bassins versants et peuvent impacter fortement les bassins lagunaires de petite taille, en raison d’une forte interaction avec les systèmes attenants, dû au haut rapport périmètre/surface.

L’importance de la connexion à la mer et la problématique de la gestion des graus ont aussi été mises en évidence, surtout en lien avec le changement climatique : la diminution des apports en eau douce due à la diminution des périodes pluvieuses ainsi que les fortes évaporations liées aux augmentations de température porteront de plus en plus à l’isolement des lagunes de la mer à travers la fermeture des graus. Cela est particulièrement évident pour les lagunes de petite taille, plus sensibles aux changements et donc au risque d’assèchement.

Le focus qualitatif et semi-quantitatif sur les contextes anthropiques et leurs répercussions sur l’écologie a mis en évidence que les propriétés foncières constituent parfois un frein à la gestion, en raison d’une multiplicité d’acteurs en jeux pour lesquels il est parfois difficile de trouver une place de dialogue (Figure 3 [5]). Parallèlement, plusieurs activités et services écosystémiques sont assurés par ces plans d’eau (e.g. valeur paysagère influant sur le tourisme et le marché immobilier, activités liées à la fréquentation touristique, protection des zone littorales et retro-littorales). Par conséquent, la conservation de ces systèmes est importante et leur gestion doit tenir en considération les activités associées à leur présence.

En conclusion, les perspectives principales de cette étude dénotent la nécessité pour ces petits systèmes lagunaires de :

  1. poursuivre les suivis et l’acquisition de données et connaissances sur les milieux pour comprendre leur fonctionnement écologique et leur cyclicité annuelle en fonction des saisons ;
  2. appliquer une approche écosystémique et pluridisciplinaire, en prenant en compte plusieurs facteurs biotiques et abiotiques dans les futures études, et surtout la continuité hydrologique du système bassin versant-lagune-mer;
  3. appliquer une approche socio-écosystémique, avec la prise en compte des pressions, mais aussi des valeurs fournis et attendus par les usagers et le monde scientifique (services écosystémiques et fonctions) ;
  4. et focaliser les efforts dans la création de plateformes ou outils d’échanges pour faciliter le dialogue entre les différents acteurs impliqués dans la gestion, afin d’établir un spectre d’états désirés vers lequel converger (cf. plateforme « recherche-gestion ») [6]

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Figure 3.  Représentation schématique des principales caractéristiques des dynamiques, fonctionnements, pressions anthropiques et gestion concernant les trois lagunes étude de cas, dans leur contexte anthropique actuel. 

Un défi majeur se dessine pour la gestion de ces petits systèmes : leur importance est reconnue, mais plusieurs questions sont soulevées concernant leur gestion. Cette étude a fourni plusieurs connaissances applicables à l’échelle régionale mais aussi à une échelle globale pour l’étude et la conservation de lagunes similaires. Ces lagunes de petite surface se sont révélées particulièrement réactives et donc vulnérables aux pressions croissantes mais aussi sentinelles de changement. L’étude de ces systèmes de façon intégrée, avec la prise en compte de leur complexité du bassin versant jusqu’à la mer, peut fournir des informations importantes sur leur avenir et sur l’avenir et les potentielles réponses des systèmes littoraux méditerranéens, spécialement dans un contexte de changement climatique en progression.

 

Ligorini, V., Crayol, E., Huneau, F., Garel, E., Malet, N., Garrido, M., Simon, L., Cecchi, P., Pasqualini, V., 2023. Small Mediterranean Coastal Lagoons Under Threat: Hydro-ecological Disturbances and Local Anthropogenic Pressures (Size Matters). Estuaries and Coasts. https://doi.org/10.1007/s12237-023-01182-1 [8]

 

Vanina PASQUALINI
Université de Corse
CNRS UMR 6134 SPE
projet Gestion des eaux en Méditerranée
[email protected] [9]

Viviana LIGORINI
Université de Corse
CNRS UMR 6134 SPE
projet Gestion des eaux en Méditerranée
[email protected] [10]

Marie GARRIDO
Office de l’Environnement de la Corse
Observatoire Régional des Zones Humides de Corse
Chargée de mission Corse du Pôle-relais lagunes méditerranéennes
[email protected] [11]