Une contamination généralisée et préoccupante
Date de publication : 12/12/2014
Projet Echantillonneurs Passifs pour la Surveillance de la contamination chimique des LAGunes méditerranéennes
Le projet ‘Pepslag’ (2013) de l’Ifremer a permis de caractériser le niveau d’exposition des lagunes aux contaminants chimiques présents dans la colonne d’eau, et notamment les pesticides.
Au total, 73 pesticides ont été recherchés sur 26 lagunes de LR, PACA et Corse à l’été 2010. Ces résultats font état d’une contamination généralisée des lagunes par les pesticides, à des taux souvent préoccupants concernant les insecticides organochlorés qui constituent la principale problématique écologique, écotoxicologique et probablement sanitaire sur les lagunes.
26 lagunes (soit 23 masses d’eau de transition du contrôle de surveillance de la DCE) en Languedoc-Roussillon, PACA et Corse sont concernées : d’ouest en est, il s’agit des étangs de Canet, Salse-Leucate, La Palme, Bages, Campignol, Vendres, Grand Bagnas, Thau, La Peyrade, Palavasiens ouest (notamment les étangs d’Ingril, Vic et Pierre-Blanche), Palavasiens est (notamment Prévost et Méjean), Or, Ponant, la Marette, Vaccarès, la Palissade, Berre, Bolmon, Vaïne, Biguglia, Diana, Urbino et Palo.
Parmi les contaminants chimiques recherchés, 53 pesticides hydrophiles et 20 hydrophobes ont été recherchés, sur 33 sites d’échantillonnage répartis sur ces 26 lagunes, au moyen d’échantillonneurs passifs entre mai et août 2010.
Les échantillonneurs passifs sont des outils inertes qui, lorsqu’ils sont placés dans l’eau pendant une durée pouvant aller jusqu’à 3 semaines, permettent de mesurer la concentration moyenne pendant cette période de différentes substances toxiques, pour lesquelles ils possèdent une affinité, et qui vont s’accumuler progressivement de manière intégrative.
Afin d’apprécier leurs effets sur la vie aquatique, chaque fois que cela a été possible, le résultat d’analyse a été comparé à la Norme de Qualité Environnementale: la valeur seuil réglementaire (au titre de la DCE) de concentration en deçà de laquelle la molécule ciblée ne présente pas de risque connu pour l’environnement, les organismes et la santé humaine. Néanmoins, toutes les substances ne disposent pas de NQE.
Des résultats préoccupants :
Les résultats de cette campagne 2010 sont préoccupants: 20 masses d’eau de transition sur les 23 suivies sont considérées comme étant en mauvais état chimique à cause de polluants, dont 19 en raison d’un insecticide organochloré aujourd’hui interdit.
Ces insecticides sont des produits hautement rémanents dans l’environnement, c’est pourquoi malgré leur interdiction depuis de nombreuses années, ils peuvent encore être retrouvés dans les milieux lagunaires, à l’occasion d’évènements climatiques pouvant remobiliser des stocks sédimentaires anciens, situés sur les bassins versants, dans les cours d’eau ou directement dans les sédiments des lagunes concernées.
Les pesticides hydrophiles (principalement des herbicides) très présents sur l’ensemble des lagunes méditerranéennes :
Les résultats font également état d’une contamination généralisée des lagunes par les pesticides hydrophiles, à la fois en nombre de molécules et en concentrations, comme le montre la figure suivante :
- Sur les 53 pesticides hydrophiles recherchés, à retenir :
- Toutes les lagunes méditerranéennes sont concernées par cette contamination : sur chaque site, entre 19 et 37 molécules différentes sont retrouvées. Les molécules les plus présentes concernent des herbicides, parmi lesquels figurent le diuron, la simazine et l’atrazine (pourtant interdite d’utilisation depuis 2003), 5 métabolites d’herbicides, 2 fongicides et 1 biocide.
- Certaines concentrations peuvent être importantes : c’est le cas des lagunes de Canet, Campignol, La Marette, Vaccarès, Bolmon et Urbino (teneurs moyennes cumulées supérieures à 400 ng/L avec un maximum de 1.3 μg/L pour Canet).
- Une dizaine de lagunes concernées par plus de 30 pesticides différents: les lagunes concernées par le plus grand nombre de molécules retrouvées sont les mêmes stations que ci-dessus ainsi que : La Palissade, Bages, Méjean, Or et Ponant. Ces résultats alors même que le principal herbicide utilisé de nos jours, le glyphosate n’a pas pu faire l’objet de recherches, faute de techniques adaptées à l’heure actuelle !
- Des contaminants exclusivement d’origine anthropique, d’usage agricole et urbain : tous les contaminants quantifiés sont utilisés récemment compte tenu de leur rémanence faible à modérée dans l’eau (au bout d’un an, la dose apportée initialement a chuté d’un facteur 1000 à 30000, difficilement détectable en écosystème lagunaire). Les sources d’émission de ces pesticides sont à la fois agricoles (traitements des cultures) et urbaines (traitement de la voirie, des voies de chemin de fer, des parcs et jardins et usages par les particuliers).
- L’atrazine et la terbuthylazine, pourtant retrouvés sur la plupart des sites, sont interdits pour tous usages depuis respectivement 2003 et 2004.
- Les NQE disponibles non dépassées : aucune des 7 molécules recherchées disposant d’une NQE n’a présenté de concentration supérieure à sa NQE. Par contre, les effets de ces molécules sur la vie aquatique ne sont pas tous connus, la plupart d’entre elles ne bénéficiant pas à ce jour de NQE. Par ailleurs, la non prise en compte des effets de mélanges de pesticides hydrophiles peut entraîner une sous-estimation du risque pour les écosystèmes lagunaires.
Les pesticides hydrophobes (organochlorés) en lagunes méditerranéennes potentiellement responsables d’un déclassement des lagunes
- Sur les 20 pesticides organochlorés recherchés, certains sont très présents en lagunes, mais il est probable que cela soit provoqué par des remobilisations de stocks anciens à la suite d’événements climatiques particuliers (crues, tempêtes).
- Très forte contamination de certaines lagunes par les isomères du lindane : les lagunes de Corse (Biguglia, Diane, Urbino) et la lagune de Thau en contiennent jusqu’à des teneurs allant de 5 à 40 fois la NQE (pour la lagune de Diane). De nombreuses autres lagunes de LR et PACA dépassent également cette NQE, mais 10 sites en sont exempts. Le lindane est un insecticide interdit depuis 1998 pouvant être fortement persistant lorsqu’il est associé à de la matière organique ou des sédiments. Des mesures réalisées dans l’air en 2006 (Air LR, 2006) confirment toutefois sa présence généralisée en Languedoc-Roussillon et soulignent de ce fait des usages récurrents de cet insecticide, encore de nos jours.
- Très forte contamination de certaines lagunes par 4 insecticides de la famille des cyclodiènes (aldrine et dieldrine interdits depuis 1992, isodrine et endrine) : les teneurs excèdent la NQE dans 14 lagunes, principalement les étangs du complexe Or-Palavasiens, du complexe Berre-Vaïne-Bolmon et à un degré moindre, les étangs de Corse. Seuls 3 sites en sont exempts.
- Forte contamination par l’insecticide endosulfan, interdit depuis 2007, responsable d’une contamination au-delà de la NQE de l’étang de Canet, l’étang de Bages, l’étang de Berre, et le complexe Or-Palavasiens.
Les contaminants chimiques très présents en lagunes, quel effet de mélange ?
Au-delà de cette contamination généralisée des lagunes par les pesticides, PEPS LAG a montré qu’entre 23 et 45% de l’ensemble des 141 contaminants chimiques recherchés (pesticides, médicaments, alkylphénols, HAP, PCB et métaux traces) ont été quantifiés sur chaque masse d’eau lagunaire, avec notamment plus de 60 produits chimiques différents retrouvés dans les eaux des étangs du Méjean, de Bages, de Bolmon et de l’Or.
La pression chimique exercée sur les lagunes est importante, ce qui soulève des interrogations quant à l’étude des effets de mélange sur les écosystèmes lagunaires.
Des pesticides responsables d’un ‘déclassement’ potentiel en ‘mauvais état chimique vis-à-vis de la DCE’
Au global, sur les 23 masses d’eau étudiées, 20 seraient en mauvais état chimique vis-à-vis de la DCE et seulement 3 – La Palme, Bagnas et Ponant, seraient en bon état, en ne considérant que cette étude.
L’endosulfan (pour 6 ME), et surtout les insecticides de la famille des cyclodiènes et les isomères du lindane, respectivement pour 11 et 13 ME sont responsables de ce classement. Ces insecticides sont classés comme Polluants Organiques Persistants (POP) par les instances internationales et européennes, compte tenu de leur capacité à s’immiscer dans la chaîne alimentaire (par bioaccumulation et bioamplification), de leur rémanence et de leur toxicité.
Les insecticides organochlorés constituent donc une réelle problématique écologique, écotoxicologique et probablement sanitaire sur les lagunes, malgré leur interdiction d’utilisation depuis de nombreuses années.
A noter : Cette étude donne une photographie à un instant « t ». Ces résultats devront être consolidés du fait des fortes variations pouvant être observées (notamment avec la campagne 2012). Ainsi, un déclassement une année peut ne pas intervenir l’année suivante.
Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une convention entre l’Ifremer et l’Agence de l’eau RMC.
- Référence bibliographique
Munaron Dominique, Hubert Morgane, Gonzalez Jean-Louis, Tapie Nathalie, Budzinski Helene, Guyomarch Julien, Andral Bruno (2013). PEPS LAG : Projet Echantillonneurs Passifs pour la Surveillance de la contamination chimique des LAGunes méditerranéennes. Rapport Ifremer RST/LER/LR 13-01, Février 2013. 79 p. http://archimer.ifremer.fr/doc/00134/24495/
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