Ouvert au public depuis octobre 2011, l’écomusée a déjà séduit plus de 8000 visiteurs
Aménagé dans une solide bâtisse au riche passé historique occupant, depuis plus de trois siècles, l’îlot d’Ischia Novasitué à l’extrémité nord de l’étang de Biguglia, l’écomusée du Fortin – propriété du Département de la Haute-Corse qui possède également le plan d’eau – a ouvert ses portes au public en octobre 2011 suite à d’importants travaux de rénovation. Au terme d’une année de fonctionnement, l’heure est venue pour la collectivité gestionnaire et son service de la réserve naturelle de l’étang de Biguglia de dresser un premier bilan d’activité de cette structure implantée au cœur du « Grand Bastia » et dédiée à la protection, à la connaissance ainsi qu’à la valorisation du patrimoine de la plus vaste zone humide de Corse.
<< Vue aérienne de l’îlot d’Ischia Nova et de l’écomusée du Fortin / Crédit photographique : Alain Gauthier
Un peu d’histoire…
Si les premières attestations archéologiques relatives à la fréquentation humaine des rives de l’étang de Biguglia remontent, en l’état actuel des recherches, aux alentours de 3 000 avant J.-C., il faut attendre le milieu du XVIe siècle pour trouver la première mention écrite relatant la présence d’une fortification implantée sur l’îlot d’IschiaNova. Son rôle à l’époque : contrôler l’étang et ses abords qui constituent un enjeu d’importance, notamment en cas de guerre, pour l’approvisionnement de la jeune ville et capitale génoises qu’est Bastia.
C’est le chroniqueur Marc’ Antonio Ceccaldi, dans son Historia di Corsica achevée vers 1560, qui semble être le premier à évoquer les circonstances ayant conduit à la création du fortin le plus ancien. Il faut replacer le récit de l’historien insulaire dans le contexte plus général du vaste conflit européen qui oppose alors les Habsbourg aux Valois et dont la guerre dite des Français, encore appelée guerre des Franco-Turcs, ne constitue que l’un des épisodes des guerres d’Italie et de cet affrontement séculaire entre grandes puissances continentales. L’objectif pour le roi de France est de s’emparer de la Corse afin de couper les routes maritimes reliant l’Espagne à ses alliés génois et florentins.
Les opérations militaires débutent dans l’île en 1553 mais les événements autour de l’étang de Biguglia se déroulent dans la seconde partie des combats, période durant laquelle les engagements se localisent essentiellement près du littoral et des zones portuaires. C’est précisément les manœuvres entreprises par les troupes françaises et leurs alliés insulaires afin de resserrer la cité de Bastia, ville portuaire principale encore aux mains des Génois, qui conduisent les belligérants à focaliser leur attention sur l’étang de Biguglia.
Partisan des Génois, Marc’Antonio Ceccaldi rapporte que ces derniers retranchés à Bastia ne pouvaient plus circuler sans danger du côté de la zone humide pour s’y ravitailler en poissons. Toujours selon le chroniqueur, les Génois décident alors d’envoyer, durant la nuit du 20 octobre 1556, « quelques soldats dans une petite île au milieu de l’étang appelée Ischia, où les pêcheurs avaient l’habitude de s’abriter. Et, avant que les Français aient eu vent de la chose, ils s’y fortifièrent ». Malgré de fréquentes escarmouches sanglantes – le fils de Marc’ Antonio Ceccaldi, Marco Maria, qui lui combat du côté français, est tué non loin du fortin d’Ischia en 1557 – les choses en restent là jusqu’en 1558…
A la fin de l’été, Ischia est avec Bastia et le fort de Belgodere, qui domine la ville, parmi les seules positions tenues par les Génois dans la région. Ces derniers décident de renforcer Ischia en donnant ordre d’y construire au plus vite des ouvrages de défense, notamment un ouvrage avancé protégeant la courtine du côté où l’ennemi pouvait battre le fort. Ces aménagements défensifs supplémentaires demeurent inachevés alors que, dans le même temps, la prise d’Ischia reste l’un des objectifs des Français. Cependant, selon Marc’Antonio Ceccaldi, avec l’approche de l’hiver, les galères de la flotte française ne pouvant plus tenir la mer devant cette place, l’attaque est reportée.
A ce moment du conflit, la lassitude gagne les deux camps et les belligérants sentent que la paix va bientôt être signée. Profitant de l’absence de Giordano Orsini, le lieutenant du roi de France en Corse qui avait pour projet d’attaquer Ischia à son retour dans l’île, certains stratèges français décident de mener une dernière opération d’envergure afin d’en tirer quelques bénéfices avant l’arrêt pressenti des hostilités. Les galères et l’infanterie françaises se présentent devant le fort d’Ischia le 11 décembre 1558. Deux ou trois jours plus tard, 50 cavaliers et 500 partisans corses les rejoignent. Les insulaires sont également chargés d’approvisionner en vivres le camp français.
Du côté génois, c’est Ettore Ravaschieri, jusqu’à lors sergent-major à Bastia, qui commande désormais la position. Il a sous ses ordres autant de soldats que peut en contenir un lieu aussi étroit et dispose d’approvisionnements suffisants en vivres ainsi qu’en munitions. Le jeune chef a, de plus, reçu de sa hiérarchie l’assurance d’être secouru soit par des troupes stationnées à Bastia – qu’il peut aussi rejoindre à l’occasion d’une sortie – soit par des renforts venus de Gênes. Mais pour la République, qui envisage une opération de plus grande envergure au moment où se déroulent les faits, Ischia n’est devenue qu’une position sans grande importance et finalement aucun secours n’y est envoyé.
Légende : « Le siège du fortin d’Ischia Nova, en décembre 1558 » / Crédit photographique : RNEB, d’après le dessin original de Dominique Groebner.
Les Français débarquent leur artillerie sur la plage de l’Arinella, au sud de Bastia, puis en transportent une partie au lieu-dit Pinetu, sur la portion du cordon lagunaire faisant face à Ischia, les autres pièces étant mises en batterie sur la berge ouest de l’étang, au lieu-dit Puntale, point le plus rapproché de l’îlot tenu par Ravaschieri et sa troupe. Après avoir fait taire, dès le premier jour, le seul canon équipant les assiégés, l’artillerie française tire près de 600 boulets et finit par ouvrir une large brèche à travers les défenses génoises. Dans le même temps, les Français réquisitionnent toutes les gondoles présentent sur le plan d’eau afin que leurs ingénieurs puissent les transformer en véritables forts flottants, avec postes de tir hauts placés, devant également servir de barges de débarquement. Les Français construisent aussi des sortes de radeaux fortifiés par de larges planches à l’épreuve des coups d’arquebuse.
Afin de résister à l’assaut et d’empêcher les assaillants de prendre pied sur Ischia, la garnison génoise a élevé, tout autour de l’îlot, une double palissade de pieux. Pour s’en débarrasser, les hommes du roi de France utilisent les radeaux qui leur permettent de s’approcher au plus près de la palissade puis d’y amarrer des câbles qui sont ensuite tirés depuis la berge ouest de l’étang et finissent par arracher les pieux de protection. Le 19 décembre 1558, les troupes françaises se préparent pour le débarquement. Les Génois, voyant que la défaite est inévitable, se rendent peu avant l’assaut. Ils ont la vie sauve et sont relâchés moyennant rançon. Une fois le fortin d’Ischia passé aux mains des Français, Marc’ Antonio Ceccaldi précise qu’ils y placent une compagnie équipée d’une pièce d’artillerie. Des ordres sont donnés pour que les populations voisines viennent réparer le fortin ruiné par la canonnade.
Les nouveaux maîtres d’Ischia n’en profitent pas longtemps. Comme on le pressentait, l’heure était venue de faire la paix. Au terme des accords du Cateau-Cambrésis, signés entre la France et l’Espagne le 3 avril 1559, Henri II, préférant conforter la frontière orientale de son royaume, abandonne la Corse. L’île, sans rien démolir de ce qui avait été fortifié, est rendue aux Génois qui font le serment de ne point exercer de représailles contre les Corses ayant suivi le parti français. L’étang et son fortin, dont il est difficile d’imaginer précisément le premier état, repassent pour plus de deux siècles encore sous le contrôle de la Sérénissime.
Du fortin génois à l’écomusée
Surveiller le plan d’eau et ses rives fertiles n’est pas la seule mission dévolue au fortin et aux frêles bâtiments annexes érigés sur l’îlot. Malgré le maintien du péril barbaresque – atténué par la construction de la tour littorale de Punta d’Arcu en 1573 – la malaria et la récurrence des épidémies ou des disettes, à partir du dernier quart du XVIe siècle, avec la fin des guerres et la reprise en main directe de la Corse par Gênes, débute une période de paix civile durable et de relatif essor économique. Les installations d’Ischia Nova jouent alors un rôle majeur. Elles servent de pêcherie et d’habitation temporaire aux employés des fermiers qui louent l’étang à la Camera, l’organe financier de l’administration génoise en Corse, et en exploitent les importantes ressources halieutiques. La petite île retrouve sa fonction originelle liée aux activités de pêche.
Plusieurs sources de l’époque moderne, échos tardifs des premières exploitations pisanes médiévales documentées à partir du milieu du XIIIe siècle, évoquent l’abondance des ressources piscicoles. Dès 1530, Mgr Mascardi explique, dans sa Description de la Corse, que l’étang est loué du fait de la quantité et de la qualité des poissons que l’on y pêche, surtout des muges et des céphales qui donnent une excellente boutargue. Il rappelle également, qu’à son époque, l’étang comporte une île, l’Isola – qui correspond en partie à l’actuelle presqu’île de San Damianu – ainsi que deux petits îlots qui servent d’abris aux pêcheurs : Ischia Nova et Ischia Vecchia, que l’on pourrait traduire par « l’île neuve » et « l’île vieille ». Cette dernière, aujourd’hui disparue, s’est trouvée rattachée par des atterrissements successifs à l’île de San Damianu, qui elle doit son nom à la présence d’une chapelle romane dédiée aux saints Côme et Damien.
Au siècle suivant, c’est au tour de Giovanni Banchero, alors premier magistrat de la cité bastiaise, de livrer dans ses Annales une description des activités piscicoles pratiquées sur l’étang et des différents usages qui leur étaient liés. On y apprend notamment que felouques et petites embarcations, appelées gobbali, rizzole ou gondole, pénètrent sur le plan d’eau où l’on pêche de grandes quantités de loups et de mulets, avec lesquels on obtient une boutargue très fine, mais aussi de grosses anguilles qui, une fois salées, sont vendues très cher sur le continent. En effet, les poissons sont destinés, d’une part, aux étals bastiais et, d’autre part, après avoir été conditionnés pour résister à la durée du transport, aux marchés italiens et même allemands.
Légende : « Les techniques de pêche pratiquées sur l’étang au XIXe siècle » / Crédit photographique : RNEB, d’après le dessin original de Dominique Groebner.
Outre le harponnage effectué à l’aide d’un instrument appelé a fòrcina, Banchero décrit le système de pêche ingénieux mis en place par le fermier qui consiste à empêcher les poissons de rejoindre la mer tout en les piégeant au moment où ces derniers cherchent à sortir de l’étang. L’installation se présente sous la forme d’une sorte de palissade faite de gros pieux en bois que l’on nomme cannato. Pour être efficace, ce système doit aussi permettre le recrutement du poisson depuis la mer, c’est pourquoi le fermier le laisse ouvert de la Saint-Antoine (mi-janvier) à la Saint-Prancrace (mi-mai) période durant laquelle, aux dires de Banchero, « chaque poisson ayant réussi à sortir de l’étang y revient, après un long voyage, suivi par des centaines d’autres ».
Le podestat bastiais indique enfin que ceux qui viennent pêcher sur l’étang doivent payer au fermier l’équivalent d’un cinquième des prises. Les habitants de Bastia et des villages de Biguglia, Borgo et Lucciana, s’ils respectent certaines conditions, peuvent être exonérés de cette taxe. Désormais, si conflits il y a au sujet du plan d’eau, ils sont tous en relation avec l’exercice de ces droits de pêche et les rivalités, essentiellement entre communautés ou familles bastiaises, pour obtenir l’affermage de l’étang octroyé par les représentants de la Sérénissime.
Les relations, souvent tendues, entre « gestionnaires » et usagers légitimes ou clandestins donnent lieu à une importante documentation qui précise la réglementation en vigueur à l’intérieur comme dans les zones maritimes attenantes à l’étang. Ainsi, il est par exemple interdit de pêcher ou de tendre des filets entre le cannato et le grau sans autorisation du fermier sous peine d’une amende. La même interdiction de pêche en mer est ordonnée à proximité du grau durant la période de recrutement du poisson. Ces sources sont souvent complétées par des cartes, des plans ou des esquisses de la zone humide établis pour argumenter les requêtes présentées à l’autorité génoise par les différentes parties ou pour proposer des améliorations concernant les systèmes de pêche.
Parmi les plans les plus anciens conservés dans les archives génoises se trouve celui datant du 11 juillet 1609 dressé à la demande d’Antonio Cosenza, alors fermier de l’étang, désignant la zone où il voudrait voir interdire la pêche. On y aperçoit très clairement le cannato et les pièges à poissons ainsi que les trois îles évoquées plus haut dont celle dite du Forte, encore appelée « Asiglione » sans que l’on en connaisse la signification, c’est-à-dire Ischia Nova, sur laquelle sont dessinés plusieurs bâtiments. En 1674 et 1676, d’autres plans de « Chiurlino » – ou « Chjurlinu » en langue corse, appellation ancienne de l’étang qui pourrait faire référence au courlis cendré, petit échassier affectionnant les zones humides littorales – sont établis, l’un pour illustrer des dispositifs permettant d’améliorer la pêche, l’autre pour la location du plan d’eau. Ischia Vecchia n’y est plus représentée. Seule Ischia Nova et ses constructions y figurent à côté de San Damianu en train de devenir une presqu’île.
Légende : « Plan de Chiurlino en 1609 » / Crédit photographique : Archivio di Stato di Genova, Fonds Corsica 40, 11 juillet 1609 (Coll. FAGEC).
C’est aussi à partir du XVIIe siècle qu’une série d’aménagements successifs conduisent à la création progressive des locaux occupés aujourd’hui par l’écomusée. Le vestige le plus remarquable de cette époque : un bas relief portant les armoiries de Gênes et de la famille Monsia qu’accompagne une inscription dédicatoire sur marbre occupant toujours l’entrée principale du fortin devenu écomusée. Elle rappelle les travaux engagés du temps du gouverneur génois Iohannes Iacobo Monsia (1682-1685) pour faire réaliser une construction plus solide que les cabanes de pêcheurs qui semblent avoir remplacé le premier fortin au lendemain du siège d’Ischia Nova. Le texte en latin précise également la date d’inauguration de cette construction qui intervient en 1683.
Légende : « Bas relief armorié avec inscription dédicatoire sur marbre » / Crédit photographique : RNEB.
En 1710, l’inventaire des aménagements réalisés sur l’étang mentionne l’existence de plusieurs installations nécessaires au salage, au séchage ainsi qu’à la transformation du poisson. D’autres documents établis au cours du XVIIIe siècle montrent que le fortin ne ressemble pas encore exactement à l’édifice dont le Département de la Haute-Corse fait l’acquisition en 1988.
Deux plans de l’îlot d’Ischia Nova, conservés eux aussi dans les archives génoises, ont été dressés le 20 juin 1742 puis le 13 juin 1761. Le premier vient à l’appui d’une demande du fermier de l’époque qui réclame une prise en charge des réparations à y effectuer. Le second, réalisé par Pierre de Cotte, est à replacer dans le contexte de l’intervention militaire française. Cette fois, ce sont les troupes du roi de France qui projettent de se fortifier sur l’îlot en faisant construire un parapet destiné à renforcer la protection du fortin. L’étang est temporairement redevenu un enjeu stratégique où Français et Génois, cette fois alliés, doivent faire face aux partisans de la jeune nation corse comme en témoigne la demande émise en 1755 par Francesco Maria Lanfranco, fermier de Chiurlino, qui souhaite rompre son contrat d’affermage ou que remise de la somme due lui soit accordée du fait des dommages causés à l’étang et à ses pêcheries par les « rebelles ».
Légende : « Plan de l’île du fortin dressé en 1742 montrant au gouvernement génois les différents édifices qui s’y trouvent (quelques maisons, une chapelle, trois paillers, un jardin et trois petits appontements de bois pour l’accostage des barques des pêcheurs) » / Crédit photographique : Archivio di Stato di Genova, Fonds Corsica 673, 20 juin 1742 (Coll. FAGEC).
Avec la conquête française, l’étang passe des mains du gouverneur génois à celles de Louis XV qui l’intègre dans le domaine royal. Si la tour de Punta d’Arcu est détruite par les artificiers génois en 1761 pour éviter qu’elle ne tombe entre les mains des Corses, le fortin semble finalement traverser cette période sans trop d’encombres et fait sans doute partie des éléments composant le fief concédé par Louis XVI en 1776 à Mathieu de Buttafoco qui reçoit l’étang de Biguglia et les terres adjacentes érigés en comté. En plus de son titre de noblesse et de ces concessions domaniales, le bénéficiaire est exempté de cens pendant six ans car le roi l’oblige à prendre à sa charge les frais relatifs au dessèchement des zones marécageuses avoisinantes afin d’éradiquer la malaria. Mais le nouveau comte ne peut jouir longtemps de son fief.
Avec la Révolution, les aliénations du domaine royal faites en Corse sont révoquées en septembre 1791. L’année suivante, les concessions sont vendues aux enchères à des particuliers comme beaucoup de biens nationaux. C’est ainsi que le 6 mai 1792, Jean-Augustin Viale rachète l’étang qui devient une propriété privée. Par la suite, la famille Viale-Rigo vend le plan d’eau à la famille Campana. L’aspect actuel du Fortin semble s’être fixé entre la fin du XVIIIe et la seconde moitié du XIXe siècle comme le montre clairement une illustration publiée en 1863 représentant une scène de pêche dans les parages de l’îlot. En 1898, l’étang est partagé en 32 parts indivises, chacune appartenant à de nombreux propriétaires. Dans le même temps, les fermiers continuent de s’y succéder.
Scènes de pêche aux abords de l’îlot d’Ischia Nova (milieu du XIXe s.) / Crédit photographique : extrait de GALLETTI (J.-A.), Histoire illustrée de la Corse, Paris, 1863.
A partir des années 60, plusieurs rapports scientifiques successifs confirment la grande valeur biologique, écologique et économique de la zone humide. Ils font aussi état de sa fragilité et de la nécessité de la protéger. Un achat du plan d’eau par le Conservatoire du Littoral est même envisagé. Interpellé par la vulnérabilité du plus vaste étang côtier de Corse, menacé par la pollution et la spéculation, François Giacobbi, alors président du conseil général de la Haute-Corse, engage la collectivité départementale dans l’acquisition du plan d’eau réalisée le 20 octobre 1988. L’acquisition foncière publique permet de maîtriser certaines menaces ou encore de réglementer une partie des usages responsables de perturbations pour le milieu.
Le Fortin d’Ischia Nova avant rénovation / Crédit photographique : RNEB.
Cependant, acquérir la zone humide n’est pas suffisant, et, pour assurer durablement sa protection, François Giacobbi souhaite la faire doter, avec le concours du ministère de l’environnement, du statut de réserve naturelle, ce qui est fait par décret en date du 9 août 1994. L’année suivante, l’Etat confie la gestion de cette nouvelle réserve naturelle, par le biais d’une convention, au Département de la Haute-Corse. Ce dernier, grâce à la création d’un service spécifique, gère depuis cette date la réserve naturelle de l’étang de Biguglia en assurant sa protection ainsi que sa mise en valeur écologique et patrimoniale. Elément pittoresque et incontournable du paysage de l’étang, le Fortin, dont l’état au fil des décennies s’était fortement dégradé, méritait lui aussi d’être conservé, réhabilité et valorisé.
Un outil au service de l’éducation à l’environnement et au développement durable
Restaurer le Fortin et le réaffecter à l’accueil du public à travers la création d’un écomusée ont été des actions inscrites parmi les objectifs du premier plan de gestion de la réserve naturelle établi en 1997. Le projet n’ayant pu aboutir, ces opérations sont reconduites dans le second plan de gestion qui débute en 2003. Après la phase d’étude, de recherche de financements et de désignation de la maîtrise d’œuvre, le permis de construire en vue de la réhabilitation du Fortin est obtenu en novembre 2005 suite à enquête publique et après avis favorable du comité consultatif de la réserve naturelle, du conseil des sites de Corse ainsi que du conseil national de protection de la nature, instances pour lesquelles une étude d’impact a été réalisée en concertation avec les services de l’Etat compétents.
Les travaux pour la restauration du bâti démarrent en octobre 2008 et s’achèvent en 2010. Le coût total de la réhabilitation du Fortin – y compris les études, l’aménagement muséographique et l’installation de la passerelle d’accès à l’îlot – s’élève à 1 763 480 € TTC. Différentes sources de financements permettent de réaliser l’opération. Elles proviennent du Fonds Européen de Développement Régional (FEDER), du Fonds National d’Aménagement et de Développement du Territoire (FNADT), de la Collectivité Territoriale de Corse, au titre de la restauration du patrimoine non protégé, et bien entendu, pour une large part, du Département de la Haute-Corse.
Le Fortin d’Ischia Nova au début des travaux de rénovation / Crédit photographique : RNEB.
Parallèlement à ces travaux, la collectivité départementale, fidèle à son objectif de maintien de l’activité piscicole traditionnelle, réhabilite également les équipements de pêche, rénove un logement pour les pêcheurs dans l’aile sud du Fortin et entreprend l’aménagement paysager de l’îlot et de ses abords en harmonie avec les objectifs de valorisation du site et d’accueil du public. L’espace muséographique ainsi que le laboratoire de recherches écologiques, actuellement en phase de développement, sont aménagés au cours de l’année 2010. Sont aussi implantés dans les locaux attenants aux salles d’exposition, les pôles administratif, scientifique et culturel du service de la réserve naturelle. Dernière étape des travaux d’aménagement : la mise en place de la passerelle reliant l’îlot à la berge ouest.
Montage de la passerelle d’accès à l’îlot d’Ischia Nova / Crédit photographique : RNEB.
Afin de réduire au maximum l’impact des nuisances dues à l’arrivée des visiteurs aux abords de la passerelle, la zone de stationnement des véhicules est volontairement implantée en périphérie du site protégé. De ce fait, l’accès à l’écomusée s’effectue uniquement à pied en empruntant un cheminement balisé et aménagé d’environ 800 mètres qui traverse une autre propriété du Département de la Haute-Corse : l’espace de détente et de loisir de Fornacina. Ce dernier, qui est destiné en quelque sorte à préparer l’entrée des visiteurs dans une zone fortement réglementée, est attenant à la réserve naturelle et a également fait l’objet d’un aménagement paysager.
L’inauguration de l’écomusée s’est déroulée le 16 juin 2011 et la structure a officiellement ouvert ses portes au public le 1er octobre de la même année. Devenu l’aménagement majeur de la réserve naturelle en termes d’action culturelle en liaison avec la gestion du site, ce nouvel outil, qui s’inscrit dans une démarche « Agenda 21 », permet au Département de la Haute-Corse de développer encore davantage ses missions d’éducation à l’environnement et au développement durable à destination du public, aussi bien local que de passage, et plus particulièrement des scolaires.
Différents espaces ont été aménagés dans l’écomusée et aux abords. La passerelle d’accès offre, en plus d’un premier panorama sur le bassin nord de l’étang, un parcours agrémenté de panonceaux pédagogiques. Au rez-de-chaussée du Fortin se trouve la salle principale dédiée à la muséographie permettant aux visiteurs de découvrir les richesses faunistiques et floristiques que renferme l’étang au travers d’une scénographie où sont abordés l’histoire du site, le phénomène des migrations, les activités de pêche ou encore la connaissance des milieux propres aux zones humides. La sauvegarde du patrimoine immatériel n’a pas été oubliée, notamment en ce qui concerne les références à la toponymie traditionnelle, et, pour rester dans le domaine linguistique, un effort particulier a été fait par la collectivité départementale qui a tenu à fournir des textes explicatifs entièrement trilingues (français, anglais et corse).
L’écomusée du Fortin / Crédit photographique : RNEB.
En pénétrant dans la petite salle voisine, le public peut aussi examiner la faune piscicole la plus représentative des étangs lagunaires de Corse grâce à un bel aquarium de 2 000 litres qui y a été installé. Une troisième salle, également aménagée au rez-de-chaussée du bâtiment, est destinée à accueillir des réunions, des conférences ou des classes qui peuvent ainsi approfondir, en compagnie de leurs enseignants et grâce à un tableau interactif, les notions acquises durant leur visite ou y réaliser différents ateliers. Au niveau supérieur, la terrasse panoramique, équipée d’une lunette d’observation, permet aux visiteurs d’apprécier l’étendue de la réserve, d’examiner la zone dédiée aux activités de pêche ou encore d’observer les oiseaux perchés sur les vestiges de la palissade. Désormais, c’est à partir de cette infrastructure – et des deux sentiers de découverte complémentaires de Tombulu Biancu (berge est) et de l’anse du Bevincu (berge ouest) aménagés antérieurement – que s’organise et se décline la totalité des animations proposées par la réserve naturelle de l’étang de Biguglia.
Fortement impliqué dans la conservation et la valorisation des zones humides, le Département de la Haute-Corse, à travers l’écomusée et le personnel qui l’anime, mobilise d’importants moyens et des compétences afin d’offrir un large choix d’activités pouvant toucher tous les publics. Objectifs de ce programme culturel ayant comme théâtre le plus vaste étang côtier de l’île : faire découvrir et faire comprendre l’importance des zones humides, l’intérêt de leur biodiversité et la nécessité de leur préservation, mais aussi encourager les comportements éco-citoyens respectueux du site classé et de son environnement protégé tout en sensibilisant les visiteurs aux principes du développement durable.
Pour ce faire, les agents du pôle « culturel » de la réserve naturelle de l’étang de Biguglia accueillent le public pour des visites libres ou guidées, payantes ou gratuites selon le public et la période, et animent divers ateliers en extérieur ou en salle, le tout aussi bien dans l’écomusée que sur les sentiers de découverte aménagés sur les berges du plan d’eau. S’initier à la flore des zones humides, observer et identifier l’avifaune, apprendre les rudiments de la pêche en étang, mieux connaître amphibiens et reptiles sont quelques unes des nombreuses activités composant l’offre culturelle mise en place par le service de la réserve naturelle.
Ces actions ont pour but de conduire le public – et notamment les plus jeunes dont on sait qu’ils seront les usagers et les décideurs de demain et qu’ils sont, dès à présent, un excellent vecteur pour toucher le monde des adultes – à découvrir, s’émerveiller et prendre conscience des enjeux environnementaux pour agir ensuite, dans la vie quotidienne, afin de contribuer au développement durable de la Corse.
Enfin, la participation aux grandes manifestations nationales organisées tout au long de l’année comme les Journées mondiales des zones humides, la semaine du développement durable, l’opération « Fréquence grenouille », ou encore la Fête de la science, contribue – grâce à l’outil écomusée – à la promotion de l’image de la réserve naturelle ainsi qu’à la fidélisation du public tout en permettant le maintien et le développement de la collaboration avec les autres acteurs œuvrant dans le domaine de la protection de l’environnement et du patrimoine culturel.
Au cours de cette première année d’activité, l’écomusée a reçu un total de 8 032 visiteurs dont près de 4 100 scolaires, ce qui représente plus de 50% de la fréquentation annuelle. Les classes proviennent de tout le département avec, bien entendu, une présence très marquée – du fait de leur proximité géographique avec la réserve naturelle – des établissements de la zone urbaine et périurbaine dite du « Grand Bastia ».
Jeunes élèves observant l’avifaune présente sur la zone humide / Crédit photographique : RNEB.
Fort de ces premiers résultats encourageants, et qui sont déjà pratiquement conformes aux attentes en termes de fréquentation, le Département de la Haute-Corse, s’appuyant sur la réserve naturelle et son écomusée, souhaite pouvoir élargir encore, tout en le renouvelant, le public touché par ses actions en faveur de la protection et de la valorisation de la zone humide. Désormais, l’objectif majeur à atteindre consiste à concilier de manière optimale les missions fondamentales de conservation et d’étude du milieu avec celles, toutes aussi importantes, dédiées à la sensibilisation. Convaincue que l’efficacité de ses actions ne peut se mesurer seulement en termes quantitatifs – critère d’évaluation s’avérant peu pertinent en matière de gestion d’un espace protégé – la collectivité départementale désire porter ses efforts en priorité sur l’accueil physique des usagers géographiquement les plus proches de l’étang, c’est-à-dire ceux dont les attitudes quotidiennes peuvent avoir une influence directe sur l’état sanitaire du milieu, avec une attention toute particulière envers le jeune public car ce dernier est prescripteur à l’égard des adultes du message qui lui est délivré lors des visites de la réserve naturelle et de l’écomusée. Le but affiché est d’encourager, grâce à la connaissance, la réappropriation par les résidents permanents ou temporaires du « Grand Bastia » du patrimoine de la zone humide afin d’en assurer, par leur implication, une meilleure protection et d’utiliser ce patrimoine comme un facteur de développement durable mettant en accord les activités économiques, sociales et culturelles avec le respect des contraintes liées à la gestion d’un site classé. Lieux stratégiques d’accueil et d’information, l’écomusée et les aménagements qui le complètent doivent donc permettre de sensibiliser l’importante population vivant autour de l’étang, et sur les 180 km² de son bassin versant, aux problématiques de gestion de la réserve naturelle ainsi qu’aux enjeux environnementaux du XXIe siècle. Faire connaître pour mieux conserver, telle est la mission confiée à la vieille sentinelle de l’étang qui demeure ainsi le gardien de ses trésors les plus précieux.
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