En 1992, la Commission Européenne a adopté la directive « Habitats-Faune-Flore » (DHFF) (92/43/CEE). Cette directive vise à assurer la protection et la gestion des habitats naturels et des espèces d’intérêt communautaire, via des mesures de conservation. Cette dernière, qui est profitable à la protection des zones humides et en particulier aux lagunes, vient compléter la directive « Oiseaux » (79/409/CEE) de 1979.
Afin de mesurer l’atteinte des objectifs fixés par le texte de cette directive, la France réalise tous les six ans une évaluation de l’état de conservation des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. Trois rapportages ont déjà été effectués :
- 2001-2006,
- 2007-2012,
- et 2013-2018.
Cette présente brève fait état des résultats de ce troisième rapportage, communiqués par le Commissariat général au développement durable sous la forme d’un bilan général et des résultats synthétiques des évaluations de l’état de conservation des habitats et des espèces d’intérêt communautaire en France pour 2019.
Selon ce troisième rapportage, les « lagunes côtières » (code : 1150) pour la région biogéographique méditerranéenne ont été classées en 2019 comme ayant un « état de conservation défavorable-inadéquat (pour un paramètre, ou globalement) » avec cependant une « tendance à l’amélioration de l’état de conservation entre les 2 rapportages ».
Que signifie cet état ?
Nées de phénomènes géologiques différents, les lagunes offrent une grande diversité de milieux et un fort contraste paysager. Définir ou catégoriser concrètement les lagunes n’est pas chose aisée tant la diversité est grande. Différents auteurs (Barnes, 1980 ; Guelorget & Perthuisot, 1983 ; Kjerfve, 1994 ; McLusky & Elliott, 2007 ; Tagliapietra et al., 2009 ; Newton et al., 2014 ; liste non exhaustive) ont proposé leur définition. La DHFF a retenu pour les « lagunes côtières méditerranéennes » une typologie présentant une certaine cohérence écologique avec une dichotomie de cet habitat sur les bases (i) de son fonctionnement hydrologique (caractère permanent ou temporaire) et (ii) de son niveau de salinité (supérieure ou inférieure à 18 ppt).
Au regard de la diversité des milieux lagunaires, il apparaît difficile de faire rentrer dans une même catégorie des ensembles aussi divers par leurs formes, leur fonctionnement et leur interaction avec leurs milieux connexes qui les influencent (McLusky & Elliott, 2007). Ceci nous amène à dire qu’une vision globale de l’état de conservation des lagunes côtières méditerranéennes est compliquée et n’est, par conséquent, pas conforme à la réalité.
De plus, cet état de conservation n’étant pas mesuré ou très peu, malgré la mise en place de méthodes standardisées et partagées afin d’évaluer l’état de conservation (EC) des habitats dans les sites Natura 2000 (Lepareur et al., 2013 ; 2019), l’objectivité de l’évaluation dépend des personnes référentes, de leur capacité à généraliser à l’ensemble des systèmes lagunaires des connaissances, pour ne pas dire « leur connaissance » de ces milieux (e.g. observation, projet de recherche propre, littérature). Ces connaissances sont d’ailleurs bien souvent parcellaires et inexistantes sur l’ensemble des milieux lagunaires concernés. Pour l’habitat « lagunes côtières méditerranéennes » nous avons, et continuons d’acquérir, des connaissances sur le fonctionnement des lagunes permanentes et plus spécifiquement celle des « eaux de transition », catégorie au sein de laquelle les lagunes côtières ont été classées par la France dans le cadre de la Directive cadre sur l’eau (DCE), mais peu voir pas du tout de connaissances sur la surface couverte[1] par les lagunes temporaires et leur fonctionnement1.
Si une évaluation de l’état de conservation de l’habitat d’intérêt communautaire « lagunes côtières » est mesurée, elle a été estimée par rapport à un état défini. Quel est cet état de référence quand nous avons des écosystèmes aussi hétérogènes ? Sachant que le choix de cet état de référence est crucial notamment pour l’étude des trajectoires de restauration des écosystèmes dégradés. Il permet ainsi d’évaluer les efforts de restauration.
Que faut-il en tirer comme conclusion ?
Une prise de conscience grandissante de la nécessité de protéger ces milieux a été observée et a conduit depuis plus de trente (point de départ : ratification par la France en 1986 de la convention RAMSAR) à la mobilisation d’instances internationales mais aussi nationales et régionales afin de préserver, conserver voir restaurer ces espaces. C’est sans doute ce qui a permis de noter une « amélioration » de l’état de conservation des lagunes côtières méditerranéennes (cf. résultats DHFF pour 2019). L’atteinte des objectifs fixés par le texte de la DHFF est difficile et couronnée de progrès lents. En effet, il a été observé que la restauration des milieux lagunaires implique des processus différents et généralement plus longs que les mécanismes rapides de dégradation. Cette hystérésis s’explique en partie par le fait que face à des changements environnementaux graduels, les écosystèmes basculent vers des états stables alternatifs (Scheffer & Van Nes, 2007 ; Duarte et al., 2015).
Pour conclure, protéger les lagunes est primordial tant elles ont de rôles importants et essentiels pour l’avenir des zones littorales, mais cela implique aujourd’hui de mobiliser l’ensemble des acteurs concernés. Il faut envisager ces espaces comme autant de « socio-écosystèmes ». La pérennisation d’outils permettant une réflexion collective (cf. plateforme recherche-gestion : action qui réunit scientifiques et gestionnaires afin de favoriser le transfert de connaissances et le montage de projets collaboratifs; le développement de recherches à l’intersection des disciplines universitaires traditionnelles) donnera lieu à la recherche de solutions concertées.
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Marie Garrido
Office de l’Environnement de la Corse
04 95 50 99 41 / [email protected]
Nathalie Malet
Ifremer Laboratoire Environnement Ressources Provence-Azur-Corse (LER/PAC) Station de Bastia
04 95 38 95 11 / [email protected]
[1] Pour rappel, les paramètres d’évaluation pour un habitat concernent son (i) aire de répartition naturelle, (ii) la surface qu’il couvre, (iii) sa structure et (iv) son fonctionnement, ainsi que des perspectives futures.
Ainsi, l’évaluation de chaque habitat, dans une région biogéographique donnée, s’appuie sur la caractérisation de quatre paramètres dont la synthèse permet de conclure à l’un des quatre états suivants : favorable, défavorable inadéquat, défavorable mauvais ou inconnu.
Ces paramètres sont évalués à partir des meilleures études et données disponibles, le cas échéant sur avis d’experts. Pour chaque évaluation, la synthèse des paramètres s’appuie sur une même règle : un seul paramètre « défavorable mauvais » suffit à déclasser l’espèce ou l’habitat dans cette catégorie (principe de précaution) ; à l’inverse, l’état de conservation n’est favorable que si tous les paramètres sont dans cette catégorie (ou éventuellement avec un paramètre inconnu).