Vers un réseau national de surveillance scientifique dédié aux prés salés ?
Date de publication : 25/03/2016
Les 19 et 20 juin 2014 à Agon-Coutainville (Manche), Réserves Naturelles de France, l’Agence des Aires Marines Protégées et l’agence de l’eau Seine-Normandie, ont coorganisé cet évènement qui avait pour objectif d’étendre l’Observatoire Patrimoine Naturel Littoral (RNF-AAMP) aux prés salés et d’initier une démarche de construction de protocoles communs de collecte de données, adaptés à produire des diagnostics locaux (sites) et comparables à l’échelle nationale…
Contexte et objectifs du séminaire
Les « prés salés, sansouïres et autres lagunes méditerranéennes » sont bien représentés sur l’ensemble des façades littorales métropolitaines. Situés à l’interface Terre-Mer, ces milieux présentent de forts enjeux de conservation tant pour l’originalité des habitats qu’ils abritent que pour les nombreuses fonctionnalités écologiques qu’ils jouent au sein des territoires littoraux et marins. Ils bénéficient assez largement de dispositifs de protection et de gestion et font également l’objet d’une gestion encadrée par l’Etat pour ce qui relève des activités et usages autorisées. De nombreux suivis y sont développés pour une évaluation de la bonne atteinte des objectifs de conservation, sans pour autant qu’une comparaison intersites des résultats locaux soit coordonnée.
Fort de ces constats, ce séminaire a réuni 70 participants (gestionnaires, scientifiques et usagers) les 19 et 20 juin 2014 à Agon-Coutainville (Manche). Coorganisées par Réserves Naturelles de France, l’Agence des Aires Marines Protégées et l’Agence de l’Eau Seine-Normandie, ces deux journées d’échange ont eu pour principal objectif d’alimenter une démarche prospective visant à prioriser quelques thématiques de surveillance pour lesquelles une harmonisation des dispositifs de collecte de données pourrait être engagée entre les sites.
Connaissance, objectifs de conservation et gestion des prés salés
Composés de ceintures de végétations littorales plus ou moins étroites et parallèles à la mer, les prés salés regroupent différents syntaxons caractéristiques que sont la slikke, le schorre et le très haut schorre. Cette organisation répond à de nombreux gradients écologiques et édaphiques qui à une échelle plus fine vont également influencer la présence d’une forte diversité de micro-habitats.
Milieux contraignants et dynamiques, les prés salés présentent une richesse végétale relativement faible mais composée d’espèces originales et caractéristiques, siège de nombreuses fonctionnalités écologiques pour une faune variée, aquatique ou terrestre (invertébrés, poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux, mammifères), spécifique ou de passage.
Jouant un rôle tampon entre terre et mer en atténuant les effets de la houle, les prés salés sont sujets à des dynamiques permanentes d’accrétion et d’érosion qui modifient leur structure physique et génèrent une recirculation des sédiments associée à des exports de matières organiques et de nutriments aux écosystèmes marins proches. Caractérisés par une forte productivité, les prés salés sont sources d’activités économiques et de loisirs en lien avec des services écosystémiques d’approvisionnement (agropastoralisme, conchyliculture, chasse, cueillette…) mais aussi culturels (promenades, loisirs naturalistes…). Si des aménagements, parfois lourds, réalisés localement (poldérisation…) ont pu en modifier le fonctionnement, il n’en demeure pas moins essentiel d’en comprendre leur dynamique en intégrant l’ensemble des menaces et pressions locales mais aussi celles issues du changement global.
Parmi ces menaces et pressions anthropiques il faut considérer les espèces exotiques envahissantes, la modification des dynamiques sédimentaires, l’eutrophisation des bassins versants et les phénomènes de marée vertes associés ou encore les effets de l’artificialisation de l’estran et du trait de côte qui contribuent à une banalisation phytocoenotique généralisée.
Parmi les nombreux usages, l’agropastoralisme est évidemment à considérer, avec des effets différents selon qu’il s’agisse d’habitats primaires ou secondaires. En présence d’habitats secondaires, le pâturage peut favoriser la présence de mosaïques du schorre moyen et haut. A l’inverse, pour les habitats primaires, la non-intervention est souvent prônée, notamment pour un maintien des fonctionnalités écologiques associées, tant pour l’ichtyofaune que les communautés d’arthropodes. Pour l’avifaune les constats sont plus contrastés. Les habitats secondaires fauchées et/ou pâturées sont très favorables à l’alimentation des anatidés et de certains limicoles côtiers. Alors que pour les passereaux (hivernage et nidification) sont d’avantage favorisés par la présence d’habitats primaires, voire même de formations monospécifiques. Ces formations sont également favorables aux communautés d’arthropodes, notamment pour les araignées.
Face à cette complexité et multiplicité d’enjeux de conservation, de contextes locaux et de liens fonctionnels entre habitats, effets des usages et compartiments biologiques…, il demeure difficile de promouvoir un seul et même mode de gestion. Ainsi, il est suggéré que les objectifs de conservation doivent être spatialisés ou sectorisés plutôt que globalisés : certains choix de gestion peuvent se révéler antinomiques selon les compartiments biologiques considérés. La non-intervention apparaît également cruciale pour le maintien de prés salés primaires. Au-delà des fonctionnalités écologiques associées, ces états originels conservés constituent des stations de référence particulièrement précieuses pour évaluer l’état de conservation.
Premières pistes d’organisation pour un observatoire intégrant les suivis des prés salés
Les prés-salés présentent plusieurs enjeux liés à leur connaissance et gestion conservatoire. Ces enjeux doivent s’intéresser (i) à la richesse spécifique via la conduite d’inventaires taxonomiques, (ii) à la composition phytocoenotique en définissant une typologie des habitats, (iii) à la structure et organisation spatiale de ces habitats et (iv) à leurs nombreuses fonctionnalités écologiques et services rendus. Cette connaissance au service d’opérations de gestion conservatoire doit être organisée en réseau et faire appel à des méthodes comparables pour dépasser l’échelle du site et permettre une approche nationale et biogéographique.
La mise en place d’observatoires écologiques et socio-économiques intégrant des séries à long terme de données scientifiques s’avère ainsi nécessaire pour aboutir à des protocoles co-construits et partagés, faciles à mettre en œuvre et répondant bien aux questionnements des gestionnaires. L’intérêt de travailler en réseau à une échelle nationale et européenne est également à promouvoir pour organiser une collecte et une analyse de données diachroniques et synchroniques via un rapprochement pérenne entre scientifiques et gestionnaires d’espaces protégés.
Prises de décision et perspectives
A l’instar des volets thématiques « limicoles côtiers » et « habitats benthiques intertidaux » déjà développés au sein de l’Observatoire Patrimoine Naturel Littoral (RNF-AAMP), le processus allant « de la collecte de données… à la production d’indicateurs pour la gestion » peut également s’appliquer aux prés salés.
La conduite d’ateliers thématiques lors de ce séminaire a permis de prioriser quelques enjeux de conservation pour lesquels la dimension réseau faisait jusqu’à présent défaut. Il est ainsi proposé de mettre en place trois groupes de travail (gestionnaires-scientifiques) thématiques pour définir à la fois les principales questions de gestion auxquelles on veut répondre et les dispositifs de collecte de données correspondant :
- Typologie et cartographie des habitats
- Passereaux nicheurs et hivernants
- Fonction nourricerie pour l’ichtyofaune (à présent actif avec un protocole testé sur une dizaine de sites des façades Manche Mer du Nord et Atlantique)
Si vous souhaitez participer à ces groupes de travail gestionnaires-scientifiques, n’hésitez pas à nous contacter !
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