Quelle relation existe-t-il avec la chimie de l’eau et la profondeur des lagunes côtières du sud de la France et de Corse ?
Source : article publié dans Hydrobiologia [i], octobre 2017 et thèse d’Ines le Fur [ii].
Une étude portée par l’unité mixte de recherche MARBEC dans le cadre de la thèse d’Ines le Fur a été réalisée sur 34 lagunes côtières méditerranéennes pour savoir ce qui détermine la distribution des communautés de macrophytes aquatiques. L’étude statistique a mis en évidence que trois principaux facteurs sont structurants pour la composition de l’assemblage des macrophytes pendant le printemps et le début de l’été ; en ordre d’importance 1) la salinité, 2) la profondeur et 3) le degré d’eutrophisation.
Face à la prise de conscience des risques liés à la dégradation de la qualité des milieux lagunaires vis-à-vis de l’eutrophisation, des actions de gestion ont été mises en œuvre à l’échelle des bassins versants des lagunes. Tel a été le cas en décembre 2005 sur le bassin versant du Lez dans l’Hérault, une nouvelle station d’épuration avec son émissaire de rejet en mer a été mise en place, induisant une diminution de plus de 80% des apports en azote et en phosphore aux lagunes palavasiennes.
Des variables de la colonne d’eau structurant la distribution des macrophytes
Au sein des lagunes méditerranéennes, la salinité et les teneurs en nutriments dans la colonne d’eau sont les principaux paramètres qui structurent la distribution des macrophytes benthiques. Certaines lagunes sont aujourd’hui en phase de restauration écologique, avec une amélioration notable de la qualité de l’eau liée notamment à la réduction des biomasses phytoplanctoniques. En revanche, la réponse des macrophytes benthiques semble plus complexe et non linéaire.
Les 34 lagunes méditerranéennes étudiées représentent un large éventail de types de lagunes côtières ayant différentes conditions environnementales. Leurs gradients de salinité ou de niveau trophique sont très larges puisque les étangs sont doux à légèrement plus salés que la mer Méditerranée, et ont des statuts trophiques variés allant de l’oligotrophie à l’hypertrophie.
L’acquisition de données issues du Réseau de Suivi Lagunaire, de la Directive Cadre sur l’Eau, et de suivis portés par des gestionnaires des lagunes les plus petites, ont permis de recueillir des informations sur un pas de temps suffisant (de 1998 à 2015) pour bâtir une analyse statistique robuste à partir de variables de la colonne d’eau et des observations des genres macrophytes.
Statistiquement, il en résulte que la salinité, la profondeur et le statut trophique sont des facteurs importants expliquant la distribution des macrophytes benthiques de fonds meubles dans les 34 lagunes méditerranéennes françaises étudiées.
Sur cette base, l’équipe de recherche a supposé que la succession végétale était différente le long du gradient d’eutrophisation selon les gammes de salinité des lagunes considérées.
Dans les lagunes polyhalines (salinité :18-30 ) et euhalines (salinité : 30-40) :
- les herbiers aquatiques d’angiospermes (plantes à fleur) dominent en conditions oligotrophes,
- les macroalgues opportunistes et le phytoplancton dominent sous des conditions eutrophes et hypertrophiques.
Dans les lagunes : oligohalines (salinité : 0.5-5) et mésohalines (salinité : 5-18):
- la succession végétale doit être intermédiaire entre celles observées dans les lacs tempérés peu profonds et celles des écosystèmes marins côtiers. Ceci s’explique par deux facteurs. D’une part, dans les lacs d’eau douce et les lagunes côtières moins salées, certaines espèces d’angiospermes produisent des longues tiges avec des feuilles qui effleurent en surface (exemple le potamot). De cette façon, elles évitent la concurrence pour la lumière avec les algues dans l’eau. Bien que la Ruppia en soit aussi capable, des angiospermes proprement marines comme les zostères et la cymodocée, ne forment pas de feuilles qui effleurent la surface et subissent par conséquence un ombrage par les algues quand il y a un apport en nutriments important. D’autre part, les macroalgues se développent en conditions saumâtres et marines et ne prolifèrent pas dans les eaux douces ou oligohalines. Ces travaux publiés dans l’article en Hydrobiologia en octobre 2017 constituent un chapitre dans la thèse. Les autres chapitres de la thèse s’intéressent particulièrement à la restauration écologique des lagunes côtières ainsi qu’au rôle des macrophytes.
Analyse sur les successions végétales observables lors de la restauration en lagunes
Quant aux premières étapes de restauration écologique en lagunes, une analyse statistique portant sur 21 lagunes montre que la réduction de la disponibilité en azote dans la colonne d’eau liée au développement des ulves favoriserait le développement des gracilaires (algue rouge) et des chaetomorphes (algue verte filamenteuse). En 3-4 ans, on peut observer un basculement rapide d’un système totalement dominé par le phytoplancton vers un système dominé par les macroalgues opportunistes et notamment les ulves. La présence d’espèces clés jouerait ainsi un rôle central dans la restauration écologique en régulant les flux d’azote et de phosphore au sein du système et en créant les conditions favorables à l’apparition d’autres espèces plus pérennes.
Bien que la théorie développée dans la thèse décrive une tendance vers le retour des macrophytes pérennes (angiospermes et certaines espèces de macroalgues comme Acetabularia) pour les trajectoires de re-oligotrophisation, l’équipe n’a pas encore pu documenter ce retour dans les lagunes après une longue période d’absence de ces macrophytes pérennes. Ceci, montre l’importance de prendre en compte, entre autres, l’importance des sources internes d’éléments nutritifs et de la connectivité pour la recolonisation des angiospermes dans les lagunes.
[i] Référence bibliographique de l’article : Le Fur, I., De Wit, R., Plus, M. et al. Hydrobiologia (2018) 808: 175. https://doi.org/10.1007/s10750-017-3421-y.
[ii] La thèse menée par Ines le Fur de l’unité mixte de recherche MARBEC (IRD, Ifremer, Université de Montpellier, CNRS) a été dirigée par Rutger de Wit (CNRS, UMR MARBEC, Université de Montpellier) et Vincent Ouisse (IFREMER, UMR MARBEC). Elle a porté sur « le rôle des macrophytes dans la restauration des milieux lagunaires: successions écologiques » et a été soutenue le 16 mars 2018. TÉLÉCHARGER LA THÈSE.
- Contact :
Ines le Fur
Docteure à l’UMR MARBEC (IRD, Ifremer, Université de Montpellier, CNRS)