Pour en savoir plus sur l’introduction de Mnemiopsis leidyi, voir notre précédent article : Une espèce américaine introduite massivement en Europe
Sur les côtes méditerranéennes françaises, Mnemiopsis leidyi a été formellement identifié pour la première fois dans l’étang de Berre en 2005 et est présent épisodiquement dans d’autres étangs méditerranéens comme Bages-Sigean depuis 2005, Vaccarès depuis 2016 et Estomac depuis 2019, mais la première arrivée de Mnemiopsis leidyi le long des côtes méditerranéennes françaises pourrait s’être produite beaucoup plus tôt. En effet, par exemple, certains pêcheurs de l’étang de Berre ont déclaré avoir observé M. leidyi à la fin des années 1990 et au début des années 2000. En général, les lagunes méditerranéennes françaises envahies par Mnemiopsis leidyi présentent des eaux saumâtres. Depuis l’étude de Delpy et al. (2016) menée dans les lagunes de Berre et de Bages-Sigean en 2010-2011, aucune mise à jour de la répartition de Mnemiopsis leidyi n’a été faite. Depuis 2019, de nombreux cas de Mnemiopsis leidyi ont été signalés dans d’autres lagunes méditerranéennes françaises le long de la côte du Golfe du Lion.
Dans ce contexte, une étude de terrain (projet Mnemi’Occitanie, financé par EMBRC France) sur la côte méditerranéenne française a été menée en juillet 2020 pour mesurer l’expansion de la population de Mnemiopsis leidyi dans les lagunes côtières qui sont des refuges potentiels pour cette espèce, comme cela a été récemment identifié dans l’étang de Berre. L’objectif principal de cette étude était donc d’actualiser la répartition biogéographique de Mnemiopsis leidyi dans le golfe du Lion.
L’expansion de Mnemiopsis leidyi dans les lagunes méditerranéennes françaises
Mnemiopsis leidyi a été observé dans 7 lagunes et dans le canal de Rhône-Sète (Fig. 1), ce qui correspond aux témoignages d’acteurs sociologiques recueillis, à l’exception des étangs du Grec, de de Pérols, du Vic et d’Ingril où les acteurs sociologiques n’avaient jamais observé Mnemiopsis leidyi. En revanche, Mnemiopsis leidyi n’a pas été observé à Thau, Gruissan-Grazel, Grande Maire, Pissevache, La Palme et Canet en juillet 2020.
Les acteurs sociologiques ont décrit la dynamique temporelle de Mnemiopsis leidyi au fil des saisons. Mnemiopsis a été observé toute l’année dans les lagunes de l’Or, de Pérols, de Grec, de Bages-Sigean et de Salses-Leucate, mais présente une grande variabilité selon les saisons, et d’une année à l’autre en termes d’abondance. En revanche, Mnemiopsis leidyi a été observé ponctuellement dans la lagune de la Grande Maire entre février et avril selon le pêcheur rencontré lorsque la lagune était reliée à la mer par un canal naturel creusé par les tempêtes marines.
L’abondance de Mnemiopsis leidyi était variable et variait de 1 ind m-3 (Ingril) à 28 ind m-3 (Grec) et 42 ind m-3 (canal de Rhône-Sète) (Fig. 2A). Une diminution de l’abondance de Mnemiopsis leidyi a été observée entre le nord (Or – canal Rhône-Sète) et le sud (Ingril) le long du canal Rhône-Sète ; Mnemiopsis était absent à la jonction entre le canal et l’étang de Thau. Les abondances mesurées dans les lagunes de Bages-Sigean et de Salses-Leucate étaient similaires : respectivement 6 ind m-3 et 7 ind m-3.
La longueur de l’axe oral-aboral de Mnemiopsis leidyi a également montré des différences entre les lagunes (Fig. 2B). Les individus étaient significativement plus petits dans les lagunes de l’Or (1,88 ± 0,42 cm), Bages-Sigean (1,18 ± 0,38 cm) et Salses-Leucate (1,81 ± 0,37 cm) que dans les autres lagunes : canal de Rhône-Sète (2,04 ± 0,56 cm), Grec (2,76 ± 0,92 cm), Perols (2,45 ± 0,57 cm), Vic (2,40 ± 0,37 cm) et Ingril (2,42 ± 0,65 cm).
Figure 1. Nouvelle répartition de Mnemiopsis leidyi dans les lagunes méditerranéennes françaises.
Figure 2. Abondance (A) et longueur oral-aboral (B) de Mnemiopsis leidyi mesurées en juillet 2020.
Le succès de l’invasion de Mnemiopsis leidyi
Introduite par les eaux de ballast des navires commerciaux internationaux, Mnemiopsis leidyi est une espèce envahissante qui a réussi à se répandre dans la plupart des eaux côtières européennes, notamment dans les estuaires et les lagunes propices à son établissement. Mnemiopsis leidyi présente une grande tolérance aux variations des conditions environnementales, une forte variabilité phénotypique et une capacité de croissance rapide de la population.
L’introduction de Mnemiopsis leidyi par les navires résulte de transits transatlantiques (par exemple, côte est du Mexique et des États-Unis) et locaux en Méditerranée. Comme il n’y a pas de trafic maritime dans de nombreuses lagunes (Or, Grec, Pérols, Vic, Ingril, Bages-Sigean, Salses-Leucate), sa présence peut probablement résulter de réintroductions régulières. Les processus d’advection et le transport naturel (dérive, circulation interne) sont certainement un vecteur de propagation secondaire de Mnemiopsis leidyi à partir de lagunes fermées telles que l’étang de Berre, comme l’ont observé Jaspers et al. (2018) en Mer du Nord. Les courants et les canaux artificiels entre les lagunes peuvent être des vecteurs de l’expansion de Mnemiopsis leidyi. Notre étude a également montré la dispersion de Mnemiopsis leidyi au sein du vaste réseau interconnecté de lagunes situées sur la côte méditerranéenne française, notamment via le canal Rhône-Sète dont l’embouchure est au port de Sète.
Le succès de la durabilité de Mnemiopsis leidyi réside dans la présence de zones de refuge qui offrent des conditions optimales pour l’hivernage de Mnemiopsis leidyi. Dans l’étang de Berre, la présence d’une zone refuge dans le sous-bassin de Vaine permet le maintien de la population de Mnemiopsis leidyi toute l’année (Marchessaux et al., 2020). Cette zone offre des conditions environnementales optimales (présence de tourbillon semi-permanent, température : 3,5 – 27,1 °C ; Salinité : 18,8 – 27,8 ; Carbone disponible : 2,0 – 854,5 µgC L-1) pour le maintien des populations de Mnemiopsis leidyi dans des conditions hivernales. Dans les lagunes occidentales du Golfe du Lion, la présence de zones de refuge expliquerait le maintien des populations toute l’année, notamment dans l’Or, le Grec, le Pérols, le Bages-Sigean et le Salses-Leucate.
A Bages-Sigean, l’absence hivernale de Mnemiopsis leidyi a été observée en 2010-2011 par Delpy et al. (2016) et une réapparition en août. Cependant, dans notre étude, nous avons observé des individus dans nos échantillons au début du mois de juillet 2020. Lors des entretiens sociologiques, les pêcheurs de Bages-Sigean voient Mnemiopsis leidyi toute l’année (faible abondance en hiver et forte abondance en été) depuis 2019. Les pêcheurs sont sur la lagune toute l’année et leur témoignage donne une idée fiable de la dynamique de Mnemiopsis leidyi. Il semblerait donc que la population de Mnemiopsis leidyi de la lagune de Bages-Sigean se soit adaptée à l’environnement de la lagune et trouve des conditions favorables à son maintien tout au long de l’année, mais nous ne disposons pas de beaucoup de données sur l’évolution à long terme des conditions environnementales dans ces lagunes. Le même schéma a également été observé dans la lagune de Salses-Leucate, mais aucune donnée n’a été mesurée avant cette étude sur la dynamique de Mnemiopsis leidyi.
Mnemiopsis leidyi a été occasionnellement observé dans la lagune de Grande Maire par les pêcheurs. La lagune de la Grande Maire est ponctuellement reliée à la mer par un chenal naturel qui se forme en hiver sous l’action des tempêtes de mer. Dans cette configuration, la lagune est reliée à la mer et devient saline. Par contre, au printemps et en été, le canal naturel se ferme, isolant ainsi la lagune qui se dessale sous l’action de l’eau douce provenant des rivières. Selon les pêcheurs que nous avons rencontrés, Mnemiopsis leidyi pénètre dans la lagune de la Grande Maire lorsqu’elle est reliée à la mer en hiver. En revanche, un suivi plus régulier devrait être effectué en fonction des saisons pour déterminer si Mnemiopsis leidyi est présent dans cette lagune d’autant plus que les pêcheurs n’ont vu que les formes adultes. Le fonctionnement parfois particulier des lagunes peut influencer le maintien ou non des populations de Mnemiopsis leidyi. Dans la lagune du Vaccarès en Camargue, Mnemiopsis leidyi n’est pas observé toute l’année car la lagune n’est pas toujours reliée à la mer, les liaisons avec la mer étant gérées manuellement par l’homme via des canaux. En effet, tout comme la lagune de la Grande Maire, la lagune du Vaccarès dessale en hiver lorsqu’elle est isolée de la mer, Mnemiopsis leidyi n’y est pas ou peu observé.
Enfin, certaines lagunes comme celles de Thau, Mateille et Grazel-Guissan présentent des caractéristiques hydrographiques spécifiques (eaux marines, présence d’autres espèces gélatineuses indigènes). L’absence de Mnemiopsis leidyi dans l’étang de Thau est probablement due à un contrôle externe empêchant le développement d’une population, par exemple des conditions de température et de salinité inadéquates pour la reproduction et/ou une concurrence alimentaire potentielle avec une population résidente de méduses Aurelia sp.. Les zones côtières du Golfe du Lion, et par extension l’ensemble du littoral méditerranéen français, peuvent être menacées par l’introduction de M. leidyi. Sa présence a déjà été détectée dans des stations côtières au large de Villefranche-sur-Mer en 2012 et de Marseille en 2013 mais aussi dans les filets de pêche des pêcheurs à Agde. Pendant les périodes environnementales favorables (c’est-à-dire l’été et l’automne dans les eaux tempérées), il peut être conduit en dehors de ses régions d’origine et se répandre le long des côtes en utilisant les courants locaux.
Une invasion à surveiller …
La distribution de Mnemiopsis leidyi continue de s’étendre le long des côtes françaises et cette étude a fourni un aperçu de la distribution de Mnemiopsis leidyi le long des côtes méditerranéennes françaises. Sur la base de ces observations, il est nécessaire de suivre Mnemiopsis leidyi dans le complexe lagunaire de Palavas, les lagunes de Bages-Sigean et de Salses-Leucate pour comprendre la dynamique temporelle, et les impacts sociologiques et écologiques de la prolifération de Mnemiopsis leidyi. Une étude est actuellement en cours pour quantifier l’impact de Mnemiopsis leidyi sur la pêche professionnelle dans les lagunes méditerranéennes françaises. Enfin, une autre étude des courants à grande échelle sera réalisée pour comprendre la connectivité entre les lagunes du golfe du Lion.
- Pour aller plus loin
Marchessaux, B. Belloni (2021) Expansion of Mnemiopsis leidyi in the French Mediterranean lagoons along the Gulf of Lion. Journal of Sea Research.
Lien vers l’article: https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1385110121000010
- Contacts
Guillaume Marchessaux, Laboratoire Chrono Environnement, Besançon.
Bruno Belloni, GIS Posidonie, Marseille.