Réalisation d’une thèse « par le projet » sur l’étang de Berre et le golfe de Fos
Le 14 novembre dernier, Ken Novellas a soutenu sa thèse : « La démarche paysagère face aux risques littoraux et aux changements climatiques. Modèles d’aménagement et outils de projet pour ménager les terres basses de l’étang de Berre, du chenal de Caronte et du golfe de Fos ». Cette thèse « par le projet » est réalisée par un paysagiste DPLG et urbaniste, dans une mention « paysage » récemment créée par Cergy Paris Université, via l’école universitaire de recherche « Humanités, Création, Patrimoine (EUR HCP). Cette nouvelle mention est issue d’un partenariat avec le laboratoire de recherche en projet de paysage (Larep) de l’école nationale supérieure de paysage de Versailles-Marseille (ENSP)[1].
Les limites de nos démarches actuelles sur le littoral
Les évènements de submersion marine, comme Xynthia en 2010, et la montée progressive du niveau de la mer liée aux changements climatiques, révèlent la vulnérabilité de nos aménagements, comme de nos modes de pensée. A la fois coûteuses, temporaires, mono-fonctionnelles et « spatiophages », les infrastructures de protection développent une image fixiste du littoral et éloignée des dynamiques hydrosédimentaires qui le caractérise. En parallèle, les nombreux outils de planification (PCS, PPMS…) ne s’attachent qu’à la dimension organisationnelle du temps de crise, sans considérer de dimension spatiale. Cette thèse vise donc à expérimenter des solutions spatiales et outils de projets en réponse aux risques et aux changements climatiques.
Une thèse hybride, entre recherche et projet
Dans une première partie, le développement d’un regard critique sur les démarches, les outils et les mots employés dans l’aménagement du littoral, permet un positionnement adéquat du praticien-chercheur, visant à s’assurer à la fois de la scientificité de ses résultats et de la viabilité de ses réponses projectuelles. Il développe ainsi une vision « contextualiste », dans le sens où le contexte, soit « ce qui existe déjà », se place comme une commande préalable à tout projet.
Dans une deuxième partie, l’objectif est d’expérimenter des solutions spatiales et éléments de méthodes via la participation à des concours d’idées traitant des changements climatiques. En parallèle, l’analyse réflexive, groupale et cognitive permet de décrire les mécanismes d’interactions entre les membres d’une même équipe. L’objectif est aussi de révéler la « boite noire » qu’est le travail de conception, tout en explorant des méthodes d’analyse pour assurer la scientificité de la recherche par le projet.
Dans une troisième et dernière partie, il développe une démarche par la recherche, dans le sens où l’analyse des évolutions de l’aménagement des terres basses de l’étang de Berre, du chenal de Caronte et du golfe de Fos, permet de montrer les modèles d’aménagement qui ont profondément transformé ces espaces littoraux soumis aux risques. Il en résulte l’évolution d’une culture pluriséculaire du remblaiement et d’une géométrisation du littoral, du XVIIIe siècle à aujourd’hui, s’incarnant dans l’aménagement agricole, les espaces de pêcheries, la création d’industries, puis de parcs urbains. Cette histoire est aussi une source d’inspiration pour influencer les projets de demain.
Vers de nouveaux outils pour penser les temporalités des risques littoraux
A l’issue de cette analyse géohistorique, la thèse propose la création de deux outils, le PAPRIL et l’hydroplan :
- Le PAPRIL (Plan des Aménagements de Prévention des Risques Littoraux) est un outil pour cartographier la vulnérabilité des habitations (en fonction de leurs proximités avec un aléa, la présence d’un étage refuge, la présence de fenêtre de toit…), des éventuels trajets de fuite (marquage au sol de lignes de fuite, espace de rassemblement…) et des espaces refuges (bâtiments publics à étages ou espaces publics hors d’eau). Ces espaces publics hors d’eau sont souvent des infrastructures de transports, pont levant de Martigues ou route des plages du quartier Saint-Gervais à Fos, des espaces remblayés et perchés face à la planimétrie des territoires communaux. L’objectif est de les transformer pour les rendre accessibles rapidement aux piétons.
- L’hydroplan est un document inspiré des « waterplans » aux Pays-Bas et mobilisé aussi en Belgique. Véritable plan-guide thématisé autour des questions décloisonnées de l’eau (eau salée/eau douce, eau-risque/eau-ressource…), il propose une vision prospective et des actions à mener pour 2030 ou 2050 sur chaque commune.
Expérimentation théorique d’un PAPRiL sur le quartier de Saint-Gervais à Fos-sur-Mer (Données issues du PPRI de Fos et données copyright « Vulnérabilité aux risques littoraux » par le Ministère en charge de l’environnement, 06.12.2011 et BDTopo 2022 par l’IGN)
Coupe de principe transformant la route des plages en zone refuge et belvédère sur Saint-Gervais
Expérimentation théorique d’un Hydroplan prospectif sur le centre de Martigues
Si ces modestes propositions d’outils tentent de répondre à des échelles de temps variées (la gestion du temps de crise par le PAPRIL, l’esquisse d’une vision prospective dans le temps long pour l’hydroplan) et à des problématiques à la fois locales et nationales, la réalisation de ces outils nécessite un difficile arbitrage politique, qui questionne notamment l’acceptabilité des locaux quant à des projets industriels à venir sur l’étang de Berre, le chenal de Caronte et le golfe de Fos. Les concertations à venir amèneront peut-être des réponses …
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Les concours d’idées :
Dérives (Accompagner le mouvement) et des rives (Habiter la Capelette)
2040, on se jette à l’eau !
Festival International des Jardins 2021 : Biomimétisme au jardin, Bleu désir
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Ken Novellas
Docteur en paysage, paysagiste DPLG et urbaniste
Enseignant contractuel à l’IUAR / Assistant de recherche à l’ENSP
[1] Cette thèse a bénéficié d’un programme d’aide de l’Etat gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme d’investissements d’avenir intégré à France 2030, portant la référence ANR-17-EURE-0021. Elle est aussi lauréate de l’appel à candidatures pour « la recherche en architecture et paysage » de la Caisse des Dépôts et Consignations, de 2019 à 2023.