Le point sur 10 ans de recherche
Date de modification : 04/08/2014
Deux ans après les Rencontres scientifiques autour de l’étang de Berre, les Actes des Rencontres ont été édités. Lagun’R, tel est le titre de l’ouvrage, fait le point sur 10 ans de recherches sur l’étang de Berre. Si une grande partie du livre est consacré à l’écosystème, on y découvre aussi son histoire industrielle et son rapport avec la justice du 19ème siècle à nos jours… On y parle aussi de restauration écologique… 424 pages pour tout savoir sur une des plus grandes lagunes méditerranéenne ou pour faire le point sur les problématiques de Recherche qu’il faut encore approfondir, comme par exemple l’eutrophisation du milieu…
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Télécharger le hors-série ‘Visions d’étang’ (juin 2014)
Propos recueillis par le Gipreb
Questions à…OLIVIER RADAKOVITCH
PRÉSIDENT DU CONSEIL SCIENTIFIQUE
1) Dix ans après le « Bilan des connaissances » qui avait servi de socle scientifique commun à l’ensemble des acteurs travaillant à la réhabilitation de l’étang de Berre, sept ans après la mise en place de nouvelles modalités de rejets de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas, et quelques années avant l’obligation d’atteinte du bon état écologique imposé par la Directive cadre sur l’eau, qu’en est-il de l’état écologique de l’étang de Berre ?
Une grande partie des présentations faites lors des Rencontres Lagun’R montre clairement que l’état écologique de l’étang n’est pas bon.
Il y a plusieurs façons d’appréhender la question de l’état écologique de l’étang :
– La plus évidente ou incontournable consiste à regarder cet état à travers les critères de la Directive cadre sur l’eau. Elle se base sur des indicateurs simples pour un certain nombre de compartiments de l’écosystème, qui permettent d’harmoniser l’état des masses d’eau à l’échelle européenne. Selon les critères de la DCE, si l’on compare l’étang de Berre à d’autres lagunes littorales méditerranéennes, (même s’il n’y a pas vraiment d’étang similaire à l’étang de Berre), il est classé en « mauvais état ».
– la seconde va au-delà des paramètres de la DCE. Elle s’attarde sur le fonctionnement de l’écosystème lagunaire et cherche à déterminer si les différents compartiments écologiques sont fonctionnels. Tous, quels qu’ils soient, peu importe s’ils sont pris en compte par la DCE ou pas. Ainsi, la macrofaune benthique par exemple, reste pauvre en richesse spécifique et en densité et ne joue plus son rôle dans l’écosystème de l’étang, notamment en ce qui concerne la dégradation de la matière organique présente dans les sédiments. Il s’agit là d’un problème essentiel à résoudre pour que l’étang retrouve un fonctionnement équilibré, tous les scientifiques s’accordent sur ce point. Sur le plan des paramètres physiques, la stratification entre les couches d’eau de surface et de fond perdure ce qui génère des phénomènes d’anoxie récurrents et contribue au déséquilibre de l’écosystème. Certes, depuis la mise en place des nouveaux quotas de rejets imposés à EDF, la salinité moyenne a augmenté et s’est homogénéisée, mais les effets sur la réoxygénation des fonds restent insuffisants.
2) Fort de tout ce que nous avons appris pendant ces journées Lagun’R, on peut s’interroger sur ce qui semble urgent de chercher à connaître, sur la nécessité de développer de nouveaux axes de recherche…
On a beaucoup progressé dans nos savoirs sur l’étang de Berre, mais ce qu’il me semble urgent aujourd’hui d’élucider est ce qui concerne le cycle des nutriments.
En effet, l’eutrophisation excessive reste le point noir de l’étang de Berre. Les collectivités locales ont fait beaucoup d’efforts en ce qui concerne la diminution des apports à l’étang : des investissements lourds pour la mise aux normes des stations d’épuration et un travail de fond pour la maîtrise du ruissellement des eaux pluviales, même si ces dernières ne semblent pas être à l’origine du plus gros des apports. On connaît mieux maintenant les flux apportés par les rivières et la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas. On sait également que l’apport des nutriments dans l’étang de Berre par les eaux de surface, reste élevé.
En revanche, une grande inconnue subsiste dans la capacité du sédiment à stocker les nutriments puis les relarguer dans l’eau à la faveur de certaines conditions physico-chimiques. Il en est ainsi par exemple, des flux d’ammonium qui diffusent depuis les sédiments vers la colonne d’eau en période d’anoxie. Ce phénomène, connu et vérifié, n’est pas quantifié dans l’étang de Berre, c’est pourtant un apport qui pourrait avoir de l’influence, notamment parce qu’il se produit dans les moments les plus critiques (en phase d’anoxie, souvent engendrée par une trop forte production primaire). Quelle est la valeur des relargages puisqu’on sait que cela existe, comment évoluent-ils temporellement, est-ce uniquement lors d’épisodes d’anoxie, concernent-ils tous les fonds de l’étang ou uniquement certaines zones ?
Enfin sont-ils comparables en termes de flux aux apports des rivières ? Les conditions susceptibles de générer ces relarguages sont connues : anoxie des fonds, favorisée par la stratification des eaux, elle-même liée aux apports d’eau douce de la centrale dans le nord de l’étang. En revanche, leur importance au regard de l’eutrophisation globale de l’écosystème n’est pas évaluée. C’est pourquoi le cycle des nutriments dans l’étang de Berre – pas simplement en termes de bilan – doit être une des priorités de recherche.
En outre, il reste encore beaucoup à apprendre sur la faune et la flore. Les herbiers de Zostères sont toujours une source d’interrogation. Les conclusions des réimplantations expérimentales d’herbiers sont mitigées, il faut mieux comprendre ce qui contraint le développement des Zostères dans l’étang. Quant à la recolonisation de la macrofaune benthique, des études antérieures ont montré que lorsque les conditions s’améliorent, les peuplements peuvent réapparaître en quelques mois. On a encore du mal pourtant à faire la part des différents facteurs qui rentrent en jeu. Certaines zones présentent des valeurs de contaminants dans les sédiments importantes, est ce limitant pour la macrofaune ? Est-ce principalement la faible oxygénation des fonds qui est en cause ? Il faudrait par exemple pouvoir discriminer ce qui relève des contaminants de ce qui relève de la colonne d’eau…
3) Tout au long de ces journées, des pistes d’actions ont été évoquées, comme par exemple, une meilleure valorisation des données collectées ou le développement de modèles d’écosystèmes… des modes de restauration d’habitat comme la transplantation d’herbiers ou le renouvellement des eaux ont été indiqués comme pouvant favoriser la restauration de l’étang de Berre… qu’en pensez-vous ?
La compréhension du fonctionnement et de l’état de l’écosystème passe par de la surveillance, d’où la nécessité de poursuivre le suivi du milieu comme le fait le Gipreb depuis maintenant près de 20 ans, ce qui le rend incontournable pour tout scientifique qui travaille sur l’étang de Berre. Mais cela n’est pas suffisant, il faut en plus assurer l’archivage et la réutilisation possible de toutes les données acquises. Ces dernières doivent être archivées dans un format qui restera utilisable dans dix ou quinze ans. La bancarisation des données est une composante fondamentale de l’observatoire du milieu, elle permettra ainsi à un chercheur, peut-être dans dix ans, de trouver les données qui répondront à sa problématique de recherche et aux nouvelles questions qu’il se pose. Le regroupement des données acquises par le Gipreb, soit directement, soit par le biais des études qu’il finance, est nécessaire pour une structure de surveillance et de gestion qui doit travailler dans le temps, assurer un suivi du milieu et surtout disposer des résultats qui permettent d’interpréter l’évolution de ce suivi. La création et la gestion d’une banque de données est une priorité à court-terme pour le Gipreb. Pour cela, il faut qu’il se dote d’outils techniques d’archivage et d’une méthodologie adéquate. Dans ce cas précis, cette banque est difficile à construire car elle devrait contenir dans l’idéal aussi bien des données chiffrées (nombre d’espèces, concentrations, flux…) que des données textuelles (résultats d’enquêtes) ou des données cartographiques ou images (photos de paysage, relevés de terrain…). Une vraie réflexion nécessite d’être conduite sur ce sujet, autant sur la mise en place et la gestion de cette base que sur son accès qui doit être facilité pour toute personne intéressée.
En termes d’écosystèmes, il serait pertinent par exemple, de reconduire une expérimentation, déjà initiée il y a vingt ans et qui consistait à observer la recolonisation par la macrofaune benthique de sédiments pris dans l’étang de Berre et placés dans le golfe de Fos (donc dans une colonne d’eau bien oxygénée). Ce type d’étude permettrait de mieux discriminer la part des différents facteurs environnementaux qui contraignent la reprise de la vie benthique dans l’étang de Berre. Il s’agit là, d’une certaine manière, d’adapter à la macrofaune les expérimentations menées sur les herbiers de Zostères.
En matière de modélisation, aujourd’hui le modèle de circulation hydrodynamique fonctionne et peut être régulièrement amélioré au fur et à mesure que des nouvelles séries de mesures sont acquises. En revanche, comment modéliser l’oxygénation des fonds ? Comment se déclenche une crise anoxique en période estivale ? Pour répondre à ces questions, il serait nécessaire de développer un modèle d’écosystème incluant la géochimie et l’hydrodynamique, mais cela est d’une telle complexité, qu’il n’existe pas à ce jour de tel modèle réellement fonctionnel. EDF travaille là-dessus comme il a été montré lors de la conférence.
Enfin, il y a dans le Contrat d’étang, de nombreuses réponses opérationnelles pour la restauration de l’étang. Depuis 10 ans, les connaissances sur le milieu, sur l’écosystème, ont été approfondies et peuvent maintenant être traduites en termes d’indicateurs. Le même effort doit être porté sur les usages, la perception du milieu par les populations. Des études scientifiques doivent être menées, permettant d’acquérir des données sur ces usages, puis de bâtir des séries d’indicateurs. Les chercheurs en sciences économiques et sociales doivent être mobilisés pour développer, avec les chercheurs en écologie, des approches pluridisciplinaires de l’étang de Berre.
4) Comment rêvez-vous l’étang de Berre ?
Je ne rêve pas réellement de l’étang de Berre… Je veux dire par là que je n’ai pas particulièrement d’attaches émotionnelles avec ce lieu, je n’habite pas à proximité.
En tant que scientifique je peux cependant l’imaginer comme une lagune restaurée telle que j’ai pu en voir ailleurs en Méditerranée, abritant des poissons « heureux de vivre » et des populations riveraines qui en tirent les ressources et surtout les plaisirs qui leur sont nécessaires. Pour cela, il faut une macrofaune benthique d’une grande richesse, des plantes aquatiques sur une surface étendue, il faut que le système soit autorégulé, typique d’une lagune méditerranéenne profonde… A ce jour, je ne sais pas encore si le seul arrêt des rejets en eau douce de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas permettra le retour rapide à l’équilibre de l’étang, mais c’est toutefois une obligation.
Je n’ai pas d’affect particulier pour l’étang de Berre, du coup je peux y mettre toute l’objectivité dont je suis capable. Je l’aborde comme un problème scientifique.
Aujourd’hui, l’écosystème n’évolue pas, un quasi encéphalogramme plat… S’il y a eu des avancées, qui ont permis un léger mieux, cela reste insuffisant.
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