Huit lagunes de Méditerranée sur les 10 suivies dans le cadre d’une étude pilote sont contaminées par les pesticides avec un risque préoccupant pour la santé de ces écosystèmes et leur biodiversité.
C’est ce que révèlent l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse et l’Ifremer en partenariat avec l’Université de Bordeaux dans le rapport « Observatoire des lagunes (Obslag) Pesticides ». S’appuyant sur un nouvel indicateur de risque écologique, cette surveillance permettra d’orienter et de prioriser les actions de l’État et des gestionnaires pour réduire le plus efficacement possible l’utilisation des pesticides dans les bassins versants concernés.
Peu exposé aux pesticides, l’étang de la Palme souffre néanmoins des effets du métolachlor. Réduire l’utilisation de cette substance dans son bassin versant permettrait de réduire le risque pour ces écosystèmes. © Ifremer/D. Munaron
Les lagunes de Méditerranée sont parmi les écosystèmes les plus riches en termes d’habitats et de biodiversité marine. Depuis 30 ans, leur état écologique global s’améliore progressivement : l’eutrophisation (entrainant des proliférations d’algues) et la pollution par les contaminants chimiques dits « historiques » (métaux, hydrocarbures, PCB, DDT…) diminuent. Néanmoins, ces milieux sont le réceptacle d’une autre contamination : les pesticides.
Une étude inédite en France : 72 pesticides suivis dans 10 lagunes méditerranéennes
Entre 2017 et 2019, l’équipe du laboratoire Environnement Ressources Languedoc Roussillon de l’Ifremer à Sète a traqué 72 pesticides grâce à des échantillonneurs passifs (POCIS), capables de détecter les composés présents dans l’eau, même à très faible dose. Ces échantillonneurs ont été immergés durant 3 semaines à 3 périodes de l’année (6 campagnes entre septembre 2017 et juillet 2019) dans 10 lagunes : les étangs de Canet, de Bages-Sigean, de l’Ayrolle, de la Palme, de Thau, de Vic, du Méjean, de l’Or, de Berre, et de Biguglia.
Les principaux résultats
À l’initiative de cette étude, Dominique Munaron, chercheur en chimie de l’environnement à la station Ifremer de Sète, explique l’originalité de ce travail : « D’ordinaire, dans le cadre des suivis de la qualité des eaux, seul le « risque individuel » d’une vingtaine de substances jugées prioritaires est évalué. Le risque pour l’écosystème intervient lorsque la concentration de l’une de ces substances dépasse sa valeur-seuil, au-delà de laquelle nous savons qu’elle est toxique pour au moins une espèce vivante.
Ici, nous avons évalué pour la première fois le risque lié au cumul de pesticides : même présents en-deçà de leurs valeurs-seuils individuelles, les pesticides peuvent voir leurs effets s’additionner et nuire au fonctionnement de ces écosystèmes lagunaires et aux organismes qui y vivent : à leur reproduction, leur développement ou encore leur immunité. Pour définir ce nouvel indicateur de risques cumulés, nous avons transposé aux écosystèmes marins les connaissances acquises sur les effets toxiques de ces mélanges sur l’Homme.
Bien que perfectible, cet indicateur appliqué de la même manière sur l’ensemble des sites permet de préciser et comparer le risque « pesticides » en fonction des lagunes, des groupes d’espèces, des périodes ou années de suivi ».
- Un risque jugé « fort » pour la santé des écosystèmes de 8 lagunes sur 10.
L’étang de l’Or est la lagune où le risque lié à la présence de pesticides est le plus prégnant. Seuls les étangs de la Palme et de Biguglia présentent un risque faible.
- Entre 15 et 39 pesticides retrouvés dans chaque lagune. Aucune substance « prioritaire », n’a dépassé sa valeur-seuil au cours de l’étude. En revanche, 10 substances considérées comme « non prioritaires » l’ont franchi, occasionnant chacune un risque pour les écosystèmes lagunaires. Deux herbicides inquiètent particulièrement les scientifiques : le s-métolachlor et le glyphosate.
Tableau 7 : Nombre de pesticides quantifiés par lagune et par campagne d’échantillonnage (appelée « LEG »). (voir la correspondance Station/Lagune dans le Tableau 9)
- Le cumul des pesticides constitue une problématique à part entière. Même si l’on parvenait à supprimer l’effet individuel des substances en réduisant leur concentration en deçà de leur valeur-seuil, l’effet du cumul des pesticides entraînerait encore un risque chronique pour 84 % des prélèvements réalisés dans le cadre de cette étude.
Tableau 9 : Bilan des risques pesticides chroniques (individuel et cumulé) au cours du suivi OBSLAG 2017-19.
Les substances dépassant leurs valeurs seuils individuelles (QRindividuel > 1) sont indiquées le cas échéant. Le
risque lié au mélange (QRcumulé > 1) est figuré par la coloration rouge/orangée des cellules. Une croix (×)
indique l’absence de diagnostic. Une case blanche et vierge indique l’absence de risque pesticide (QRcumulé < 1).
Tableau 10 : Bilan du risque chronique global (QRcumulé) lié à la présence de pesticides dans les lagunes.
Risque par lagune
Étang de Biguglia : La lagune est peu exposée aux pesticides (cf. tableau 7). Le risque chronique y est globalement le plus faible des lagunes suivies (cf. tableau 10) mais il est très variable avec un risque maximal lors du 1er leg en période sèche. Les mélanges retrouvés sont différents de ceux des lagunes métropolitaines. C’est par exemple la seule lagune où le métolachlor et ses métabolites ne dépassent pas leurs valeurs seuils, et c’est aussi la seule lagune où l’ametryn et la tébuconazole les dépassent.
Étang de Berre : Malgré une exposition aux pesticides dans la moyenne des lagunes suivies (cf. tableau 7), le risque pesticide chronique sur l’étang de Berre est l’un des plus faibles parmi les lagunes investiguées (cf. tableau 10), il est néanmoins considéré comme fort sur l’ensemble des legs, souvent à cause de l’effet du mélange de substances mais surtout à cause du métolachlor et de son métabolite OA individuellement (cf. tableau 9).
Étang de l’Or : la lagune est considérée comme la plus à risque vis-à-vis de la problématique des pesticides parmi l’ensemble des lagunes suivies (cf. tableau 10). Ce risque chronique est systématiquement lié à l’effet du mélange et à l’effet de plusieurs substances dépassant individuellement leurs valeurs seuils (tableau 9). Le risque maximal obtenu à la fin de l’hiver lors du suivi 2015-16 se produit à la même époque en 2017-18 (leg 2) et 2018-19 (leg 5)(cf. figure 11). C’est d’ailleurs ce dernier hiver 2018-19 qui enregistre la valeur maximale de risque chronique, toutes lagunes et tous legs confondus.
Figure 11 : Quotient de Risque (QR) cumulé à la station ORW à l’ouest de l’étang de l’Or au cours des 6 legs
du suivi Obslag Pesticides 2017-19.
Étang du Méjean : cette lagune est la 3e lagune la plus à risque vis-à-vis de la problématique des pesticides (cf. tableau 10). Comme pour l’étang de l’Or, son voisin, ce risque chronique est systématiquement lié à la présence de mélanges de pesticides dans les eaux autant qu’à certaines substances individuelles qui dépassent leurs valeurs seuils (cf. tableau 9).
Étang de Vic : le risque chronique médian y est peu élevé (cf. tableau 10) notamment par rapport à l’autre étang du complexe des palavasiens suivi dans le cadre de cette étude (Méjean). Cependant il est jugé fort sur chacun des legs suivis. Ce risque chronique est lié à la présence de mélanges de pesticides dans les eaux autant qu’à certaines substances individuelles dépassant leur valeurs seuils (cf. tableau 9).
Étang de Thau : il fait partie des lagunes les moins exposées aux pesticides (cf. tableau 7). C’est aussi l’une des moins à risque au cours de ce suivi (cf. tableau 10). Le risque chronique lié à la présence de pesticides y est néanmoins jugé fort au cours de chacun des legs suivis, et pour les deux stations de mesure avec de grandes différences entre les deux années hydrologiques. Le risque pesticide sur Thau lors de la première année de suivi, est autant le fait de substances dépassant individuellement leur valeur seuil que de l’effet du mélange de substances présent dans les eaux, alors qu’il est uniquement lié au mélange de pesticides au cours de la deuxième année de suivi. C’est la lagune où la part de substances à usage biocide (antifouling) est la plus importante, ce qui n’écarte en rien la présence conjointe de substances à usage phytosanitaire utilisées en agriculture ou en milieu urbain.
Étang de l’Ayrolle :la lagune se place en 3e position des plus exposées aux pesticides en moyenne (cf. tableau 7). Le risque chronique est jugé fort au cours des deux années de suivi (cf. tableau 10). Il est systématiquement composé à chaque leg, à la fois de substances dépassant individuellement leurs valeurs seuils et de l’effet des mélanges de substances présentes simultanément (cf. tableau 9).
Étang de Bages-Sigean : la lagune présente une forte exposition aux pesticides, avec toutefois une plus forte exposition du point de mesure au Nord. Le risque est évalué comme fort sur les deux stations, bien que moins prégnant que sur les étangs de l’Or, Méjean ou Ayrolle, mais il est fort toute l’année au cours des 2 années suivies. Le risque est à la fois constitué par des substances dépassant leurs valeurs seuils (métolachlor et métolachlor OA uniquement) et par l’effet du mélange de pesticides présents simultanément (cf. tableau 9).
Étang de La Palme : la lagune est peu exposée aux pesticides (cf. tableau 7). Le risque pesticide y est donc moindre que sur les autres lagunes. Seul l’effet individuel du métolachlor et de son métabolite OA déclassent cette lagune lors des legs 1 et 5, tandis que le risque lié au mélange de substances est présent uniquement lors des legs 2 et 6 (cf. tableau 9).
Étang de Canet : c’est la lagune où la variété de pesticides retrouvés dans les eaux est la plus grande au cours des deux années de suivi (entre 29 et 39 substances simultanément) (cf. tableau 7). Paradoxalement, le risque chronique n’y est pas le plus élevé, Canet arrivant au 6e rang des lagunes les plus à risque vis-à-vis de la problématique pesticides (cf. tableau 10). Malgré tout, il est jugé fort toute l’année et presque systématiquement à cause de l’effet du mélange et de l’effet de plusieurs substances dépassant individuellement leurs valeurs seuils (cf. tableau 9).
Conclusion et perspectives
Ces résultats permettent de dresser l’état des lieux du risque « pesticide » dans les milieux lagunaires méditerranéens et apportent une vision plus réaliste de la problématique des pesticides polaires dans les lagunes, complémentaire à celle règlementaire de la DCE.
« Avant cette étude, l’état chimique de ces lagunes était considéré comme « bon » puisqu’aucun des 22 pesticides « prioritaires » suivis d’ordinaire tous les 3 ans dans le cadre de la directive-cadre sur l’eau ne dépassait sa valeur-seuil, constate Karine Bonacina directrice régionale de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. Cette étude modifie notre regard ; elle met en lumière l’urgence de prendre en compte les cocktails de pesticides et leurs effets sur ces milieux naturels. Grâce à ces nouvelles données, nous disposons d’informations concrètes pour agir en amont sur les usages des pesticides qu’ils soient d’origine agricole, urbaine ou industrielle ».
Ce nouveau protocole de suivi sera reconduit sur l’ensemble des 10 lagunes de Méditerranée ces prochaines années et pourrait être appliqué à l’avenir aux lagunes et estuaires des autres façades maritimes françaises.
Pour aller plus loin
Consulter le rapport :
Munaron D., Derolez V., Foucault E., Cimiterra N., Tapie N., Budzinski H., Giraud A. (2020). *OBSLAG – Volet Pesticides. Bilan 2017-2019 du suivi des lagunes méditerranéennes. Rapport final*. ODE/UL/LER-LR/20.09. https://archimer.ifremer.fr/doc/00656/76769/
- Contact
Dominique Munaron