Une entraide indispensable et un partage technique essentiel !
Les pêcheurs de l’étang de Canet – Auteur : Roland Mivière (SMBVR)
« Les pêcheurs de la lagune de Canet Saint Nazaire poursuivent le combat contre le crabe bleu. Leur action se poursuit à 4 pêcheurs, suite au regretté décès d’un pêcheur emblématique et impliqué sur le site. Ses stations de pêches ont été réparties aux 4 pêcheurs restant. Les pêcheurs ont aujourd’hui un ressenti mitigé sur l’action de capture. On y trouve de l’usure devant ce combat éprouvant et une inquiétude latente face aux prises récentes de nombreux juvéniles de la taille d’une pièce de 2 euros. Une inquiétude également devant les constats inhabituels d’absence d’ichtyofaune, d’oiseaux et du peu d’herbier, possiblement liés à la sur-salinité d’un étang qui ne bénéficie plus depuis longtemps d’apports conséquents d’eau douce. Le plus perturbant pour eux est, qu’ils sont confrontés à une situation « jamais vue » dans leur mémoire, et qu’ils ne parviennent pas à l’expliquer. Ils partagent néanmoins la gestion des vannes, qui leur semble adaptée au vu du contexte météorologique.
Cette usure morale est toutefois amoindrie par la conscience de faire le nécessaire pour endiguer le phénomène crabe bleu. Ils sont également reconnaissants du soutien apporté par le Programme Scientifique et le Plan d’Action Régional. En outre, ils ont une certaine fierté d’avoir effectué les prélèvements importants en 2021 et 2022, prélèvement qui pourraient expliquer la baisse importante des captures en 2023. Leur autre fierté est d’être restés solidaires et d’avoir constitué un groupe pour viser une efficacité maximum. Leur conseil aux autres pêcheurs sur les sites voisins est de travailler en équipe pour s’en sortir.
Si initialement, les pêcheurs étaient gênés que « leur » lagune soit considérée comme un « laboratoire », avec la crainte d’être « sacrifiés » et de travailler « pour les autres », les pêcheurs mesurent aujourd’hui de manière valorisante leur expertise et l’aide qu’ils peuvent fournir dans les pratiques de lutte contre les crabes bleus et dans la fabrication des engins de pêche. Ils ont développé une solidarité inter-lagune qui n’était sans doute que cachée en eux. Ils ont, du reste, toujours été ouverts auprès des pêcheurs d’Occitanie ou de Corse ainsi qu’auprès de l’OFB, pour prêter du matériel ou pour le fabriquer.
Malgré ces points positifs, les dernières tendances sur l’exploitation de l’anguille tendent à décourager leurs derniers efforts. L’attachement et l’amour qu’ils ont envers la lagune de Canet Saint Nazaire participent à leur volonté de ne pas abandonner le combat. Cette abnégation est un luxe pour le gestionnaire qui dispose encore de « ses » sentinelles sur la lagune pour bénéficier d’une veille sur les EEE (Crabe bleu et Cascail), l’état des herbiers lagunaires et les perturbations diverses pouvant survenir. »
Point de vue des pêcheurs de Berre – Auteur : Julie Duley (Gipreb)
Des pêcheurs de Berre sont en lien régulièrement avec des pêcheurs de Biguglia en Corse et de Taglio di Po en Italie. Lors d’une visite en Italie en 2023, les pêcheurs berrois ont été alertés sur la menace que représente le crabe bleu, notamment sur la rapidité de l’explosion de l’espèce et la difficulté de régulation des populations. Ensemble, ils échangent sur les différentes méthodes de pêche utilisées. Les corses capturent majoritairement aux verveux, et les italiens utilisent eux des casiers et nasses. Grâce aux retours d’expériences des pêcheurs italiens et corses et avec leurs conseils, les pêcheurs berrois ont décidé de prendre les devants sur l’explosion du crabe bleu dans leur lagune. Ils ont donc sollicité des organismes comme le CRPMEM PACA, le Gipreb et l’OP du Levant pour obtenir des fonds et mettre en place des pêches de régulation, avant même de constater une augmentation significative des crabes. Les pêcheurs de Berre se sont rendus à Biguglia début juin 2024. Les corses leur ont fait part de leur sentiment d’impuissance face à l’ampleur du phénomène malgré tous leurs efforts pour préserver leurs lagunes. Ils ont encouragé les berrois à poursuivre les actions mises en place à Berre. Ces derniers ont eux un sentiment de sursis face à cette menace et redoublent leurs efforts afin de la contenir un maximum. Certains ont même fabriqué des casiers et nasses spécialement dans le but de capturer les crabes bleus.
Du réseau des pêcheurs sentinelles en Corse au réseau interrégional de pêcheurs professionnels : une union face à la problématique crabe bleu – Auteur : Office de l’Environnement de la Corse
Dès l’installation du Groupe de Travail C. sapidus région Corse, les pêcheurs professionnels, opérant en milieux lagunaires en Corse, ont immédiatement adhéré aux objectifs et ont participé aux actions avec des partenaires du GT. L’objectif commun entre ces différents acteurs étant la préservation des lagunes et de la biodiversité de ces milieux pour assurer une durabilité écologique et économique.
À l’issue de la première conférence interrégionale du 14 mars 2022 et à la demande de pêcheurs professionnels, un déplacement a été organisé par l’Office de l’Environnement de la Corse en Occitanie du 13 au 15 juin 2022. Ce déplacement a permis de rencontrer des acteurs en région œuvrant sur le crabe bleu, d’échanger sur cette problématique commune, de partager les techniques de pêches et le matériel utilisé en lien avec cette EEE et également d’appréhender la diversité des sites lagunaires impactés (à des degrés différents) par le crabe bleu. Les échanges ont été riches et constructifs et ont donné lieu à des propositions d’actions communes.
Deux ans après, les pêcheurs professionnels des 3 régions ont pu nouer des liens et sont en contacts permanents. Ils ont pu échanger du matériel et des techniques de pêches qui sont quotidiennement éprouvées, notamment durant les périodes estivales et automnales en Corse.
Les pêcheurs pratiquent quotidiennement le milieu et perçoivent les changements écologiques. Ils communiquent entre eux et partagent leurs observations et leurs connaissances sur la biologie, l’écologie et la dynamique des espèces (e.g. présence/absence, déclins, nouvelles espèces) par une « lecture de l’environnement » en comparant leur vécu et histoire professionnelle/personnelle (e.g. héritage des perceptions d’une génération à l’autre). Ainsi la collaboration entre les acteurs et les pêcheurs professionnels s’avère incontournable. Elle permet de conjuguer des savoirs complémentaires et de mettre en place des stratégies de gestion durable des ressources et des actions de lutte contre les espèces invasives qui bénéficient à la fois à l’environnement et à l’économie.
Depuis plusieurs années, l’OEC apprécie, dans le cadre de la coordination du sous-groupe de travail « réseau des pêcheurs sentinelles », les valeurs qui animent les pêcheurs face à cette invasion. Leur engagement et leur dévouement à leur métier, la valorisation des connaissances et des techniques traditionnelles transmises de génération en génération, ainsi que leur ouverture à l’innovation pour améliorer et adapter leurs pratiques sont particulièrement remarquables.
© OEC
Point de vue des pêcheurs professionnels en Corse – Propos : Jean-Louis Guaitella (Président de la commission Etang du CRPMEM Corse), Julien Cugurno, Louis Tarallo et Toussaint Planet
Depuis plus de 3 ans, nous (pêcheurs professionnels en milieux lagunaires) luttons contre l’espèce dont l’augmentation ne cesse de croître au fil du temps. À ce jour, un sentiment d’impuissance, de colère et d’épuisement est présent chez les pêcheurs toujours en activité. Bien que l’action de capture par l’activité de pêche apparaisse comme la seule possibilité de contrôler l’espèce sur certains secteurs, quelques pêcheurs envisagent de mettre un terme à leur profession. Les dégâts sur les engins de pêche, la pénibilité du travail ainsi que les pratiques de pêches à revoir en ont découragé un certain nombre.
© France 3 Corse (photo de gauche) / J.L. Guaitella (photos centrale et à droite)
De plus, les quantités importantes (plusieurs tonnes depuis 2 ans) ne trouvent pas acheteurs. La saisonnalité ainsi que la méconnaissance autour de recettes spécifiques crabe bleu en font, malgré ses qualités gustatives, un produit difficile à écouler. Plus de 20 000 individus (représentant l’équivalent de 6 tonnes) sont morts capturés dans les cages se trouvant sur la lagune de Palu. Malgré ce découragement, cette espèce invasive a suscité, au sein de notre profession, l’envie de développer et tester des nouvelles techniques de pêche pour pouvoir améliorer la capture du crabe bleu uniquement et participer ainsi à l’effort de pêche nécessaire pour maîtriser l’expansion et réduire les effectifs.
À travers cette brève, nous souhaitons exprimer notre gratitude pour le soutien fourni par l’OEC depuis le début de l’invasion. Nous sommes reconnaissants des actions mis en place et de celles à venir à travers notamment le Plan Territorial de Lutte qui n’oublie pas notre profession.
© A. Ricciardi (photo de gauche) et J.Cugurno (photo de droite)