Retour de Marion VERDOIT-JARRAYA (université de Perpignan, laboratoire CEFREM) responsable du programme scientifique sur l’étude spatio-temporelle du crabe bleu et de son équipe :
Nous en sommes à plus d’un an d’application du protocole du programme scientifique sur l’étude spatio-temporelle des indices d’abondance du crabe bleu porté par le laboratoire CEFREM de l’université de Perpignan, débuté en décembre 2022. En parallèle, l’observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer poursuit de son côté ses investigations sur l’espèce. Les objectifs plus spécifiques de cette étude sont de comprendre la variabilité des rendements du crabe bleu dans le complexe lagunaire de Canet Saint-Nazaire (CLCSN) selon la structure en taille, le sexe et certains paramètres environnementaux telle que la saison et en lien avec son cycle de vie.
Pour rappel, des engins de pêche de type verveux sont employés pour les captures (Figure 1) dont la pose et la relève sont effectuées par les pêcheurs professionnels partenaires du projet. Le protocole déployé par le CEFREM prévoyant 6 prélèvements par mois (10 stations avec 3 réplicas pour chacune, soit au total, 30 engins de pêche sont déployés en même temps sur la lagune lors d’un prélèvement), tributaires des conditions météorologiques, à globalement été suivi. La collaboration entre les acteurs de la pêche et les acteurs scientifiques est fluide et efficace car les RDV sur le terrain sont mis en place selon le protocole et le calendrier établis dans le partenariat. D’un point de vue spatial, il avait été prévu initialement d’effectuer un échantillonnage de type systématique stratifié, mais l’emplacement de certaines stations a dû être un peu modifié, en raison notamment d’une profondeur insuffisante à certains endroits de l’étang (Figure 2) notamment au Sud et au Nord-Ouest de la lagune et de la présence de récifs de cascail (Ficopomatus enigmaticus).
La gestion des vannes de l’étang, positionnées au niveau de l’unique grau, est sous la responsabilité du Syndicat mixte du bassin versant du Réart de ses affluents et de l’étang de Canet Saint-Nazaire (SMBVR) qui fait en sorte de préserver l’équilibre écologique de la lagune en tenant compte des divers enjeux parfois antagonistes, autant socio-économiques, qu’écologiques. Le crabe bleu présente un dimorphisme sexuel marqué, différentiable par la forme de son abdomen. Pour chaque individu de crabe bleu trouvé dans les filets, le sexe, la largeur et la longueur de la carapace sont mesurés. Le temps de pêche (nombre de jour de pose des filets) est noté ce qui permet de calculer une Capture Par Unité d’Effort (CPUE) qui est assimilée, dans certaines conditions, à un indice d’abondance (ou autrement dit à un rendement). Les résultats présentés ci-après sont des CPUE exprimées en nombre d’individus par jour de pose.
Les individus sont ensuite classés pour les analyses en fonction de leur sexe et de la présence d’œufs pour les femelles (mâle, femelle et femelle grainée) puis par classe de taille. Trois groupes de taille ont été définis : le groupe [0-8[ qui correspond aux individus immatures, le groupe [8-12[ qui représente les « presque adultes ou jeunes adultes» et le groupe des adultes [12-20[. Étant donné que les crabes bleus deviennent matures entre 8 cm et 12 cm, il nous a semblé préférable de les placer dans une catégorie spéciale. La présence d’autres espèces dans la capture est également notée, puis ces individus sont la plupart du temps relâchés dans l’étang (en très grande majorité encore vivants pour les crabes verts ou encore les blennies), excepté, les crabes bleus, en tant qu’espèces invasives. Le plus souvent, ils sont récupérés par des chercheurs de l’Observatoire Océanologique pour des études complémentaires. A ce jour, les quantités assez faibles prélevées de crabes bleus sont absorbables par la science.
Chaque semaine, des agents de Perpignan Métropole Méditerranée (PMM) récupèrent les données physico-chimiques de l’étang, sous la responsabilité du SMBVR. Ces relevés sont effectués tout autour de l’étang, en utilisant six stations spécifiques (Grau, Village des pêcheurs, Golf, Agouille, Esparrou et La Fosseille) (Figure 2). Le choix stratégique de ces stations est basé sur différents facteurs tels que les versants ou la proximité des lieux touristiques. Pour obtenir les données environnementales, un photomètre équipé de trois sondes est utilisé. Ces sondes mesurent la température de l’eau, la salinité, l’oxygène dissous, le pH et le Rédox. Lorsque cela est possible, le niveau de l’eau est également enregistré. Le SMBVR et PMM ont partagé ces données avec l’université de Perpignan afin de pouvoir les relier aux données biologiques.
Figure 1. Schéma d’un filet verveux et du dispositif de pêche (©réalisation sous Keynote, Antigny C.)
La paradière est constituée d’un filet droit conçu pour guider les organismes aquatiques vers l’entrée de la pentanne. Des bouées sont espacées de 1,07 mètres le long de la paradière. La pentanne se compose de deux parties distinctes : la coulette et les deux filets latéraux qui se trouvent de part et d’autre du filet droit. La coulette est formée de 6 anneaux d’un diamètre de 50 cm, espacés de 73 cm, et contient un entonnoir interne de 92 cm de diamètre qui piège les crabes. Des bouées sont également espacées de 75 cm le long des filets latéraux de la coulette. En ce qui concerne le maillage des filets, celui-ci varie selon le type de filet utilisé. Pour le filet droit, la maille mesure 2,8 cm lorsqu’elle est étirée et 1,7 cm lorsqu’elle n’est pas étirée. Quant à la coulette, la maille mesure 2 cm lorsqu’elle est étirée et 1,5 cm lorsqu’elle n’est pas étirée.
Figure 2. Cartographie de la zone d’étude, de ses caractéristiques générales et des stations d’échantillonnage (©réalisation sous QGIS 3.28.1 Antigny C.).
Plus d’une vingtaine d’espèces différentes ont été observées dans les captures (Poissons, Mollusques, Crustacés), avec une majorité de crabes verts (Carcinus aestuarii), une espèce endémique de Méditerranée et de crevettes grises européennes (Crangon Crangon) (Figure 3).
Figure 3. Exemple d’espèces présentes dans un filet ramené par les pêcheurs : (A) Mélange d’espèces ; (B) Blennie paon mâle (Salaria pavo) ; (C) Crabe verruqueux (Eriphia verrucosa).
Plus de 500 individus de crabes bleus ont été capturés en 2023 via ces pêches expérimentales avec en moyenne une quarantaine d’individus par mois. Un mélange de mâles et de femelles a été observé dans les captures (aucune femelle grainée en 2023 et une seule femelle grainée a été capturée en 2024) avec davantage de mâles observés en 2023 (environ 60%).
Une importante variabilité mensuelle des rendements a été observée avec des plus forts rendements observés en septembre et octobre et les plus faibles durant l’hiver 2023 et ce pour les deux sexes (Figure 4). Pour les plus petites classes de taille (< à 8 cm) les plus forts rendements ont été observés en été (et les plus faibles au printemps), à l’automne pour les intermédiaires (et les plus faibles au printemps), et au printemps et en automne pour les plus gros individus.
Concernant la variabilité spatiale, des abondances plus faibles ont été observées au Nord de l’étang et plus fortes au Sud de l’étang (avec de plus fort rendements surtout pour la catégorie des « Gros individus »). La salinité élevée de l’étang (notamment liée à la faible quantité de précipitations) durant l’année 2023 pourrait être à l’origine de ces effectifs plus faibles qu’attendu (par rapport aux années précédentes). En effet, du fait de la sécheresse marquée dans le département depuis avril 2022, les vannes connectant la lagune à la mer sont restées ouvertes presque continuellement. La conséquence a été une salinisation importante et prolongée de la lagune, accentuée par une évaporation importante de la masse d’eau. Concernant les relations avec les facteurs environnementaux, les rendements des catégories des « Petits » et « Intermédiaires » étaient corrélées positivement avec la température, de même que celles des « Intermédiaires » avec la Salinité et la Conductivité. A l’inverse, des corrélations négatives ont été observées entre les rendements des « Petits » et « intermédiaires » et l’O2.
Pour les 6 premier mois de l’année, les rendements de 2024 étaient similaires à ceux de 2023, excepté pour le mois de juin où une hausse importante a été observée avec une plus grande proportion de femelles que durant l’année 2023 et avec davantage d’individus de tailles intermédiaires.
L’échantillonnage va se poursuivre jusqu’à fin 2024. Il serait intéressant d’explorer d’effectuer des analyses similaires sur les CPUE en biomasse et les relations avec d’autres facteurs environnementaux tels que la force et la direction du vent ou encore les précipitations.
Les résultats restant encore provisoires à ce stade, ils devront encore être soumis à quelques vérifications par la suite. D’autre part, il est encore un peu tôt pour effectuer des recommandations en lien avec la gestion, mais on pourrait penser que la réalisation de pêches expérimentales ciblées sur la saison automnale (voire printanière), qui était celle où les plus forts rendements de gros individus ont été observés permettrait d’être efficace en vue d’une réduction de la population de crabe bleus. Il serait préférable d’utiliser un plus grand maillage que celui employé pour cet échantillonnage afin de limiter le nombre d’espèces accessoires dans les captures.
Concernant les améliorations de cette étude, une sonde multiparamétrique du laboratoire CEFREM a été installée en juin 2024 sur une station positionnée au milieu de l’étang afin d’obtenir en continu des données abiotiques similaires à celles de PMM en incluant en plus des mesures de chlorophylle a.
D’autres études sont en cours, notamment une étude de marquage acoustique réalisée par le bureau d’étude Biotope et une étude du Parc Naturel Marin du golfe du Lion qui explore les variations d’efficacité de différentes nasses appâtées.
Le SMBVR a effectué un Comité de Pilotage de l’étude Scientifique début juillet 2024 qui a permis de réaliser un nouvel état d’avancement à un an et demi du début du suivi pêche.
Figure 4. Boîte à moustaches des variations des CPUEs moyennes totales par filet (mâles, femelles et classes de tailles confondus) selon les mois en nombre d’individus par jour de pose (Nbre/T). Les nombres en abscisse représentent le nombre de filets posé (soit le nombre de réplicas) dans le mois. Les résultats du test de Dunn sont représentés par les lettres a, b, c et d au-dessus de chaque boîte (les modalités d’un même groupe ont une lettre identique).