1/ Retour sur la mise en œuvre de la collaboration scientifiques-pêcheurs et l’application du protocole choisi (SMBVR-UPVD-Pêcheurs de Canet)
Auteurs : Roland Mivière (SMBVR), pilote du projet porté sur l’étang de Canet et Marion Verdoit-Jarraya (Université de Perpignan, laboratoire CEFREM), responsable du programme scientifique sur l’étude spatio-temporelle du crabe bleu
« Suite à l’obtention des aides publiques (45% SGAR / 45% Région Occitanie), le projet a été différé par l’encadrement administratif de l’articulation du programme scientifique (Convention entre les scientifiques, les pêcheurs et le SMBVR). Les différents acteurs n’ont trouvé un accord rédactionnel qu’au 15 septembre 2022. Les premiers paiements aux pêcheurs étant un préalable indispensable au démarrage officiel du protocole scientifique, les premiers prélèvements ont eu lieu en décembre 2022.
Le protocole du programme scientifique sur l’étude spatio-temporelle porté par le CEFREM de l’université de Perpignan est appliqué depuis 6 mois. L’observatoire océanologique de Banyuls sur Mer (OOB) poursuit de son côté ses investigations sur l’espèce. Des engins de pêche de type verveux sont employés pour les captures (Figure 1) dont la pose et la relève sont effectuées par les pêcheurs professionnels partenaires du projet. Le protocole déployé par le CEFREM prévoit 6 prélèvements par mois (10 stations avec 3 réplicas pour chacune, soit au total, 30 engins de pêche déployés en même temps sur la lagune lors d’un prélèvement), tributaires des conditions météo. Initialement, il avait été prévu d’effectuer un échantillonnage de type systématique stratifié (Figure 2a). L’emplacement de certaines stations a été un peu modifié par rapport à ce qui avait été initialement prévu, en raison notamment d’une profondeur insuffisante à certains endroits de l’étang (Figure 2b) notamment au sud et au Nord-Ouest de la lagune.
Figure 1. Photographie d’un engin de pêche de type verveux illustrant la méthodologie de pêche. Crédit photographique, Marion Verdoit-Jarraya et montage réalisé par Maxence Morel.
Figure 2. Cartes des positions des stations de pêche. a-Gauche : position des stations prévue initialement. b-Droite : position effective des stations. Réalisation Maxence Morel.
- Premiers résultats de captures: moins de crabes bleus (Callinectes sapidus) et moins vigoureux
Lors des 32 premières sorties, plus d’une vingtaine d’espèces faunistiques différentes ont été observées dans les captures (Poissons, Mollusques, Crustacés), avec une majorité de crabes verts (Carcinus aestuarii), devenus rares en 2022, qui ont fait depuis décembre 2022 un retour en force.
Depuis l’application de ce protocole, assez peu de crabes bleus ont été pêchés dans l’étang (moins de 5 crabes par mois entre décembre 2022 et février 2023 et respectivement 21 et 55 crabes bleu en mars et avril 2023). Une légère augmentation a donc été constatée en avril et mai avec en moyenne respectivement 3.5 et 9.15 individus par prélèvement durant ces deux derniers mois.
Un mélange de mâles et de femelles a été observé (aucune femelle grainée) avec davantage de mâles observés en avril. Les crabes bleus ont été observés dans la majorité des stations échantillonnées mais des analyses plus approfondies doivent être effectuées pour savoir s’il existait des variations significatives en fonction des stations.
Le maximum de crabes bleus interceptés par prélèvement est de 16 individus début mai, très loin des quantités de 2022 à la même époque (près de 2000 kg sortis en avril 2022).
La salinité élevée de l’étang (notamment liée à la faible quantité de précipitations) pour le mois d’avril 2023 pourrait être à l’origine de ces effectifs plus faibles qu’attendus (par rapport aux années précédentes).
Au-delà du faible nombre d’individus pêchés, comparable à l’année 2021, c’est la vigueur des crabes qui interpelle. En 2021 et 2022, chaque individu faisait preuve d’une remarquable agressivité tandis que les crabes bleus observés en 2023 sont particulièrement amorphes et peuvent être manipulés facilement, voire attrapés par les pinces. Cet état léthargique est surprenant, d’autant plus que les autres organismes lagunaires ont un comportement normal par rapport à la saison, et par rapport aux conditions physico-chimiques de la lagune mesurées chaque semaine.
- Des questions en suspens
Toutefois, du fait de la sécheresse marquée dans le département depuis avril 2022, les vannes connectant la lagune à la mer sont continuellement ouvertes. La conséquence a été une salinisation importante et prolongée de la lagune, accentuée par une évaporation importante de la masse d’eau. Si le brassage marin a permis de maintenir une bonne oxygénation de l’eau et une éventuelle possibilité de fuite de la faune lagunaire, il a également induit une salinité supérieure à 40 g/litre pendant 30 semaines consécutives, et entre 48 et 51 g/litre pendant 8 semaines consécutives. Ces données compilées dans le programme scientifique seront analysées en fonction des prises de crabes, mais ces données feraient déjà ressortir des questionnements sur le rôle de la salinité prolongée excessive quant à l’état léthargique du crabe bleu : affaire à suivre !
La collaboration entre les acteurs de la pêche et les acteurs scientifiques est fluide et efficace car les rendez-vous sur le terrain sont mis en place selon le protocole et le calendrier établis dans le partenariat. En revanche, le SMBVR éprouve toujours des difficultés à trouver une filière d’acheminement, d’équarrissage ou d’utilisation des crabes pêchés dans le cadre du programme scientifique. Ces derniers doivent servir en premier lieu à l’analyse scientifique menée par l’OOB et le surplus ne doit pas être commercialisé. A ce jour, les faibles quantités prélevées sont absorbables par la science, mais si les prises explosent dans les semaines à venir, la question demeure sur la façon d’écouler les crabes non utilisés et non utilisables pêchés par centaines de kilos. Cette question devra trouver réponse rapidement.
Par ailleurs, le SMBVR va prochainement participer aux prélèvements d’ADN environnemental de crabe bleu programmés sur Canet Saint Nazaire le 8 Juin 2023. Le SMBVR prévoit enfin un Comité de Pilotage de l’étude Scientifique fin juin afin de réaliser un premier état d’avancement à mi-parcours de cette année 1 du projet.
2/Suivi du crabe bleu et du crabe vert à l’étang de Canet par l’OOB
Le partenariat entre les pêcheurs de la lagune de Canet et les scientifiques de l’Observatoire Océanologique de Banyuls (OOB) a débuté en décembre 2022. L’OOB avait anticipé la mise en place du projet et débuté le suivi du compartiment benthique de l’étang à proximité du village des pêcheurs. Ce site avait fait l’objet d’un suivi avec des prélèvements toutes les 2-3 semaines de Juillet 2020 à Août 2021 (3 carottes de sédiment de 30 cm de diamètre, sur une épaisseur de 10 cm).
© M. Dentan
- Suivi des abondances spécifiques et du réseau trophique à l’étang
Les abondances des espèces qui composent la communauté benthique montraient des variations en fonction de la période de l’année. L’OOB a donc repris ce protocole depuis le mois de mai et, si les espèces rencontrées sont les mêmes, les abondances ont fortement changé. Ainsi, le bivalve le plus abondant dans le sédiment, Abra segmentum, a vu ses densités divisées par 6-10. L’autre bivalve Cerastoderma glaucum semble au contraire avoir ses densités qui ont augmenté. On ne peut pas faire de lien de causalité entre la présence de C.sapidus et les fortes modifications des abondances des espèces de la communauté benthique mais ce suivi se poursuivra pour voir si les abondances remontent avec la diminution des abondances de C.sapidus observées depuis plusieurs mois.
Cerastoderma glaucum (à droite) et Abra segmentum (à gauche) © T. Boyer
Des échantillons d’espèces représentatives de la lagune de Canet-Saint Nazaire ont été récoltés au mois de novembre pour en mesurer les ratios d’isotopes stables pour l’azote et le carbone. Un second échantillonnage aura lieu en juin afin de prendre en compte les éventuels changements saisonniers. Une fois ces nouveaux échantillons acquis, ils seront tous préparés pour envoi à la plateforme où les mesures seront faites. Ces données nous permettront de mieux comprendre les réseaux trophiques dans la lagune et la dépendance des espèces par rapport à leur(s) source(s) de nourriture.
Crabe bleu M. Verdoit-Jarraya © & crabe vert © M. Morel
- Étude de physiologie et du parasitisme du crabe bleu et du crabe vert
Les études de physiologie pour comparer la réponse de Callinectes sapidus et du crabe vert (Carcinus estuarii, une espèce très abondante de l’étang), face à une augmentation de température en normoxie et en hypoxie (~ 50% de la concentration normale en oxygène) ont débuté en laboratoire sur des animaux fournis par les pêcheurs. Les résultats ne montrent pas de différence importante entre les deux espèces pour la période du début du printemps. L’hypoxie diminue la capacité de tolérance à une augmentation de température pour les deux espèces. Les mêmes expériences seront menées sur des spécimens au mois de Juin puis après l’été afin de déterminer si les capacités d’acclimatation des crabes permettraient à l’une des deux espèces d’avoir un avantage sur l’autre.
La recherche de parasites a aussi débuté sur les spécimens fournis par les pêcheurs. Depuis le début de cette étude, deux étudiants en Master ont travaillé sur une cinquantaine d’individus qui ont été disséqués pour en prélever l’hémolymphe (le « sang » des crabes) et des tissus pour la recherche de parasites. Les approches moléculaires ont aussi débuté, notamment la mise au point des conditions d’extraction d’ADN et les conditions d’amplification de marqueurs par PCR.
Crédits photos : T. Boyer & M. Dentan
- Suivi larvaire par trait de filets à plancton
Depuis avril 2023, des pêches de plancton avec un filet Manta ont permis de débuter le suivi de ce compartiment pour y rechercher les larves de crabes et les identifier, à la fois en morphologie et au niveau moléculaire. Les traits de pêches sont faits par les pêcheurs, accompagnés par un scientifique de l’OOB pour la mise en œuvre et le traitement de l’échantillon. Le tri de l’échantillon de la première pêche a révélé la présence de 330 larves de crabe au stade zoé, a priori toutes des larves de crabe vert. Ceci est en accord avec l’observation de femelles grainées de cette espèce pendant le mois qui précédait. Sont prévues une pêche toutes les deux semaines environ, si les conditions météo le permettent.
Larves de crabe vert – zoés © S. Hourdez
- Contacts
Porteur du projet : Roland Mivière
Chargé de Mission Natura 2000 et Biodiversité au Syndicat mixte du Bassin Versant du Réart
[email protected]
Responsable du programme scientifique sur l’étude spatio-temporelle du crabe bleu : Marion Verdoit-Jarraya
Maître de conférence
UMR 5110 CNRS-UPVD
CEntre de Formation et de Recherche sur les Environnements Méditerranéens (CEFREM)
[email protected]
Responsable scientifique du volet suivi écologique du crabe bleu : Stéphane Hourdez
Dir. Adjoint Laboratoire d’Ecogéochimie des Environnements Benthiques (LECOB)
UMR 8222 CNRS-Sorbonne Université
Observatoire Océanologique de Banyuls
[email protected]
Thomas Boyer
Ingénieur d’études Laboratoire d’Ecogéochimie des Environnements Benthiques (LECOB)
UMR 8222 CNRS-Sorbonne Université
Observatoire Océanologique de Banyuls
[email protected]