Les nutriments urbains déversés en excès sur les zones côtières depuis de nombreuses années peuvent être considérés comme une pression à l’origine de nuisances pouvant conduire au phénomène d’eutrophisation. Cette étude portant sur l’analyse de 14 années de suivis permet d’apporter des éléments de compréhension des processus en jeu et des dynamiques de restauration des lagunes. Elle contribue également à une aide à la gestion en identifiant les actions de remédiation appropriées.
Trajectoires de restauration des lagunes méditerranéennes suite à la réduction des apports nutritifs urbains
Les lagunes côtières méditerranéennes françaises ont été soumises à d’importants apports de nutriments urbains pendant des décennies. Ces apports ont conduit à l’eutrophisation de ces écosystèmes vulnérables. En réponse aux récentes réglementations environnementales (e.g. Directive Nitrates, Directive Cadre sur l’Eau), de nombreuses lagunes ont fait l’objet d’actions de gestion significatives ciblant, entre autres, les systèmes de traitement des eaux usées de leurs bassins versants. Alors que l’eutrophisation des écosystèmes côtiers et lagunaires a été décrite avec précision, les trajectoires de restauration n’ont été étudiées que récemment[1].
Dans cette étude (publiée en Janvier 2019 dans « Ocean and Coastal Management », Derolez et al., 2019), les auteurs ont analysé les données d’une série chronologique de 14 ans résultant de suivi[2] des nutriments, de la biomasse et de l’abondance phytoplanctonique dans la colonne d’eau des lagunes côtières françaises méditerranéennes couvrant tout le gradient d’eutrophisation (oligotrophe à hypereutrophe), afin d’évaluer la rapidité et l’ampleur de l’effet des travaux d’assainissement.
Après une réduction de 50 à 80 % des apports urbains de phosphore total (PT) et d’azote total (NT) des bassins versants des lagunes initialement hypereutrophe (Méjean-MEW) et eutrophe (Bages-BGN), la réponse des écosystèmes a été rapidement mise en évidence (1 à 3 ans) par les paramètres intégrateurs : chlorophylle a, NT et PT. Pour la lagune initialement eutrophe, la restauration est presque complète et suggère l’absence d’hystérésis[3], l’état après travaux se rapprochant de celui de la lagune oligotrophe Ayrolle (AYR ; Fig. 1). Cependant, nos résultats montrent que les schémas de restauration dépendent de l’état initial vis-à-vis de l’eutrophisation et peuvent inclure des périodes d’instabilité et d’inertie des écosystèmes, comme le montre la variabilité du Méjean après la mise en œuvre des travaux d’assainissement (voir Fig. 1 : grande étendue des valeurs de chlorophylle a).
Figure 1. Schéma de restauration des lagunes illustré par la teneur[4] en chlorophylle a dans l’eau (« État de l’écosystème ») aux stations Bages Nord (BGN) et Méjean Ouest (MEW) avant (2001-2002-2003) et après (2012-2013-2014) les travaux d’assainissement, en fonction des apports en azote total (NT) des bassins versants (« Pression anthropique »). Illustrations de l’état des écosystèmes : oligotrophe (1), mésotrophe (2), eutrophe (3) et hypereutrophe (4) (©RSL). *Résilience complète : retour à l’état initial après restauration ; **variabilité naturelle du système, observée sans pression anthropique. Les données mesurées à la station Ayrolle (AYR) sont celles de 2001-2002-2003-2012-2013-2014.
Les résultats de cette étude permettent d’apporter des éléments de compréhension des processus en jeu et des dynamiques de restauration des lagunes et peuvent ainsi contribuer à aider les gestionnaires à identifier les actions de remédiation appropriées. Ainsi, les résultats montrent que des réductions significatives des apports urbains engendrent des améliorations rapides de la qualité de l’eau. Les délais et les inerties observés au cours des trajectoires de restauration peuvent être expliqués par :
- des facteurs externes, tels que le niveau de diminution des apports en nutriments ou les variations climatiques;
- et des facteurs internes, tels que le taux de renouvellement des masses d’eau, les stocks sédimentaires de nutriments ou encore la présence d’herbiers et de macrophytes.
Des études complémentaires, s’appuyant notamment sur des travaux de modélisation (cf. projets GAMELag[5] et détermination des flux maximums admissibles[6]), sont nécessaires pour quantifier les effets de chaque facteur et les interactions ayant un impact sur les trajectoires et les délais de restauration.
- Référence de l’article
Valérie Derolez, Béatrice Bec, Dominique Munaron, Annie Fiandrino, Romain Pete, Monique Simier, Philippe Souchu, Thierry Laugier, Catherine Aliaume, Nathalie Malet (2019). Recovery trajectories following the reduction of urban nutrient inputs along the eutrophication gradient in French Mediterranean lagoons. Ocean & Coastal Management, 171, 1-10. https://doi.org/10.1016/j.ocecoaman.2019.01.012
- Contact
Valérie DEROLEZ
UMR MARBEC
Ifremer – Laboratoire LER/LR
Avenue Jean Monnet
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04 99 57 32 79
[1] e.g. Leruste et al. 2016 ; Pasqualini et al. 2017 ; Le Fur et al. 2019.
[2] Données du Réseau de Suivi Lagunaire (RSL), du Réseau des Lagunes Corses (RLC) et de la DCE.
[3] Délai de restauration ou différence entre état initial et état atteint dans le cas d’une résilience partielle (Elliott et al. 2007).
[4] Les « boîtes à moustache » représentent l’étendue des valeurs et les ronds les moyennes des teneurs en chlorophylle a.
[5] Outil d’aide à la Gestion des Milieux Eutrophisés : http://rsl.cepralmar.org/doc/GuideMethodologiqueOGAMELAG.pdf
[6] https://www.eaurmc.fr/jcms/dma_40201/fr/apports-en-nutriments-du-bassin-versant-vers-l-estimation-de-flux-admissibles