Le point sur les publications
Le crabe bleu Callinectes sapidus, espèce originaire de l’Atlantique occidental, présente en Méditerranée une forte capacité d’invasion liée à son écologie opportuniste, sa plasticité environnementale et son fort potentiel reproducteur.
Dans les lagunes méditerranéennes, son expansion « récente », particulièrement marquée en France depuis 2021 en Corse, fin 2024 en Paca et 2019 en Occitanie (Canet plus particulièrement et 2023 pour les autres lagunes d’Occitanie) s’accompagne d’impacts écologiques :
● Pression prédatrice et réorganisation des réseaux trophiques
Le Crabe bleu est un prédateur généraliste consommant bivalves, crustacés, poissons, annélides et divers organismes benthiques, avec une préférence marquée pour les bivalves (Gavioli et al., 2025). Cette omnivorie et son agressivité entraînent (i) une forte pression sur les communautés benthiques, pouvant conduire à leur appauvrissement structurel (Chiesa et al., 2025) et (ii) une compétition et prédation directes sur des espèces natives importantes comme Carcinus aestuarii (crabe vert), Atherina boyeri (athérine) ou Anguilla anguilla (anguille) dont les déclins ont été corrélés à l’augmentation de C. sapidus dans plusieurs lagunes, notamment la Sacca di Goro (delta du Pô, Italie) (Gavioli et al, 2025 ; Clavero et al., 2022).
Une réorganisation des réseaux trophiques, où les interactions prédateur–proie se modifient fortement, entraîne des perturbations de l’ensemble du fonctionnement écologique des lagunes (Gavioli et al., 2025).
Ces phénomènes sont cohérents avec les observations réalisées dans d’autres systèmes méditerranéens (delta de l’Èbre), où la hausse des densités de crabe bleu a provoqué des déclins rapides de multiples espèces natives, un processus qualifié d’hyper-prédation (Céspedes et al, 2024).
● Impact majeur sur les bivalves et ruptures de recrutement
Dans les lagunes du delta du Pô (Sacca del Canarin, Sacca degli Scardovari ; Chiesa et al., 2025), les études montrent (i) des pertes de palourdes jusqu’à 100 % en 2023, avec 56 % des coquilles présentant des traces de prédation par le crabe bleu, (ii) l’absence totale de naissain dans les zones de recrutement naturel, signe d’une perturbation aiguë des cycles de renouvellement des bivalves et (iii) une menace directe pour la durabilité écologique et économique des lagunes productrices, confirmée également dans d’autres bassins aquacoles méditerranéens (Gavioli et al., 2025).
La pression prédatrice du Crabe bleu sur les bivalves, en particulier Ruditapes philippinarum, est identifiée comme l’un des mécanismes les plus impactant dans ces écosystèmes (Gaglio et al., 2025).
Gaglio et al., (2025) montre que le Crabe bleu a fortement colonisé la lagune de Sacca di Goro (delta du Pô, Italie) et a bouleversé son fonctionnement écologique et économique. Il met en évidence une chute d’environ 72% de la production de palourdes japonaises entre la période 2010–2023 et l’année 2024, entraînant des pertes d’environ 65 millions d’euros, ainsi qu’une baisse des revenus de la petite pêche. Concernant la partie de l’article relative à la filière Crabe bleu, les auteurs démontrent que malgré une forte augmentation des captures et des ventes à partir de 2018, culminant avec un véritable « boom » en 2023, l’effondrement rapide du prix au kilo et les coûts élevés liés à l’élimination des surplus conduisent à un bilan économique négatif en 2024 (environ 700 000 € de perte). Cette filière reste donc très loin de compenser les pertes subies par la production de palourdes et par la pêche artisanale.
● Effets en cascade sur les communautés et les fonctions écologiques
Les études montrent que le Crabe bleu (i) modifie la composition et la structure des communautés biologiques, en déstabilisant le benthos et en perturbant les interactions trophiques (Chiesa et al., 2025), (ii) altère les fonctions eco-systémiques des lagunes (e.g. production halieutique, filtration, recyclage de la matière), déjà fragilisées par d’autres pressions (e.g. eutrophisation, événements extrêmes, réchauffement climatique ; Chiesa et al., 2025), (iii) affecte la chaîne alimentaire locale, en réduisant l’abondance de « proies-clefs » et en interférant avec la reproduction ou le recrutement des espèces piscicoles.
Dans certaines situations, l’espèce peut même devenir une espèce clé de voûte du système envahi, restructurant profondément les interactions écologiques (observations issues d’Espagne et corroborées par les dynamiques du delta du Pô (Céspedes et al, 2024).
Conclusion
L’ensemble des publications évoquées ci-dessus montrent que l’invasion de Callinectes sapidus entraîne :
- un effondrement des populations de bivalves et de plusieurs poissons natifs,
- une perturbation profonde des réseaux trophiques,
- une altération de la structure et du fonctionnement écologique des lagunes,
- des risques élevés d’effets en cascade et de restructuration durable des écosystèmes.
Ces impacts justifient la mise en place urgente de plans de surveillance, de stratégies de gestion ciblées et d’approches écosystémiques pour limiter la propagation et réduire les effets du crabe bleu sur la biodiversité méditerranéenne (Chiesa et al., 2025).
- En savoir plus
Les publications sont disponibles sur demande ([email protected])
Consulter le rapport du RAC/SPA « État des connaissances sur les crabes bleus en Méditerranée »
- Contact
Marie Garrido
OEC – Pôle-relais lagunes méditerranéennes
Email : [email protected]