Comprendre et préciser le rôle des eaux souterraines dans les transferts d’eau douce à la lagune
Le bassin versant de la lagune de Biguglia (au Sud de Bastia, Corse) se caractérise par des cours d’eau de faible débit, souvent temporaires, dont les écoulements seuls ne permettent pas d’expliquer les apports en eau douce à la lagune. Les études hydrogéologiques menées sur le secteur ont permis une meilleure compréhension des interactions entre aquifère, cours d’eau et lagune, et ainsi de préciser le rôle stratégique des eaux souterraines dans l’alimentation en eau douce de la lagune.
La lagune de Biguglia, un écosystème dépendant des eaux souterraines
La lagune de Biguglia est un environnement côtier, de transition, à l’interface entre eaux douces continentales et eau de mer (Figure 1.a). Si l’alimentation partielle de la lagune en eau douce par les rivières est clairement un fait établi, il convient de s’interroger sur les autres apports en eau douce potentiels. Cette interrogation est rendue d’autant plus pertinente par l’intermittence des cours d’eau présents sur le bassin versant de la lagune. Le Bevincu, cours d’eau majeur, est souvent pratiquement asséché en été dans sa partie aval, ne s’écoulant alors que très faiblement jusqu’à la lagune. Les cours d’eau mineurs présentent eux un écoulement intermittent, qui s’interrompt au cours du printemps. La contribution des eaux de surfaces en dehors des périodes de précipitation est donc clairement limitée voire nulle. Cependant, la lagune reçoit tout au long de l’année des déversements en provenance des canaux et fossés de drainage. L’alimentation en eau douce de la lagune n’est donc pas seulement assurée par les rivières. Une alimentation constante par les eaux souterraines, induite par le fonctionnement des canaux qui drainent l’aquifère, est également présente.
Les mesures de niveaux piézométriques, effectuées sur l’ensemble du bassin versant de la lagune, ont permis de cartographier la surface de l’aquifère et ainsi de définir les sens d’écoulement des eaux souterraines. La carte piézométrique réalisée (Figure 1.b) montre des niveaux piézométriques décroissants d’Ouest en Est. L’écoulement s’effectue depuis les reliefs de la Corse alpine vers la lagune de Biguglia. Cette première observation démontre donc sans ambiguïté la participation des eaux souterraines à alimentation en eau douce de la lagune, définissant cette dernière comme écosystème dépendant des eaux souterraines.
Apports des outils isotopiques à la caractérisation des processus de recharge de l’aquifère
La disponibilité d’une ressource en eaux souterraines de qualité et en quantité suffisante est donc essentielle pour assurer la préservation de la lagune et des services écosystémiques qu’elle rend (ressources piscicoles, biodiversité, protection des littoraux, zones récréatives…).
Cependant, la plaine alluviale de la Marana-Casinca se caractérise par une urbanisation croissante indissociablement reliée à une forte pression anthropique. L’ensemble des activités humaines présentes sur le bassin versant (tourisme, agriculture, petites et moyennes industries…) sont autant de sources potentielles de dégradation qualitative (pollution des ressources) que quantitative (surexploitation des ressources). La compréhension du fonctionnement hydrodynamique du bassin versant et des interactions existantes entre les différentes masses d’eau est donc essentielle pour garantir une gestion durable et adaptée des ressources en eau de l’hydrosystème dans son ensemble.
Les analyses isotopiques (isotopes stable de la molécule d’eau) apportent des informations concernant les processus de recharge de l’aquifère. Les points localisés au Nord du bassin versant, dans les alluvions du Golu et les rivières se caractérisent par une signature isotopique dite « appauvrie », suggérant une recharge grâce à des précipitations en altitude. A l’inverse, les points localisés au Sud du bassin versant et sur le lido montrent une signature dite « enrichie », argumentant en faveur d’une recharge par des précipitations à plus basse altitude. La recharge de l’aquifère s’effectue donc au Nord par les précipitations localisées sur les hauts reliefs formés par les contreforts schisteux, alors que les eaux souterraines au Sud du bassin versant sont rechargées par l’infiltration directe des précipitations sur la plaine.
Un hydrosystème complexe, se caractérisant par des interactions importantes entre les masses d’eau
La combinaison de données géochimiques (pH, température, conductivité électrique, éléments majeurs et traces) et isotopiques (18O, 2H et 3H) permet une meilleure caractérisation du fonctionnement hydrologique de l’ensemble du bassin versant, en précisant notamment les interactions existantes entre eaux souterraines, cours d’eau et lagune. Afin de mettre en avant les processus de mélange entre les masses d’eau, il convient de sélectionner des paramètres représentatifs de chacune d’elle. Ici, le rapport Na+/Ca2+ permet d’identifier des interactions avec l’eau de mer alors que les concentrations en HCO3– apportent des informations sur la participation des contreforts schisteux dans l’alimentation de l’aquifère.
En combinant données géochimiques et isotopiques, trois comportements hydrogéologiques nettement distincts sont alors identifiables au niveau de l’aquifère de la plaine alluviale. Les eaux souterraines au nord résultent d’une double contribution, entre infiltration d’eau du Bevincu vers l’aquifère et apport d’eau en provenance des formations schisteuses. A l’inverse, au sud de l’aquifère, les eaux souterraines sont majoritairement alimentées par l’infiltration des précipitations et des eaux du Golu (Figure 2). Enfin, au niveau des alluvions du Golu, les eaux souterraines possèdent un marquage identique à celui des rivières, témoignant d’une recharge effectuée en large majorité par l’infiltration d’eau de surface. Les eaux souterraines du lido, lentille d’eau douce piégée dans cette formation sableuse, sont logiquement impactées par des processus de mélange avec l’eau de mer. Le bassin versant de la lagune de Biguglia est donc un hydrosystème complexe, se caractérisant par des interconnexions importantes entre eaux souterraines et eaux de surface. L’influence de l’eau de mer reste encore limitée, les processus de mélange avec l’eau de mer se trouvant principalement au niveau du lido.
Vers une caractérisation qualitative des eaux souterraines ?
Ce projet a permis d’apporter des éléments de compréhension quant au fonctionnement hydrodynamique du bassin versant de la lagune de Biguglia. Les futures recherches devront s’intéresser à la qualité des ressources en eaux souterraines. En effet, l’urbanisation importante de la plaine peut impliquer des risques de dégradation de la qualité de la ressource en eau, notamment par les eaux usées. Une caractérisation de la qualité actuelle des eaux souterraines permettra de faire un état des lieux qualitatif de l’aquifère et de l’impact anthropique présent sur le secteur.
Figure 1: a) Bassin versant de la lagune de Biguglia et présentation de l’ensemble des points de prélèvements (d’après Garel et al. 2016) et b) Carte piézométrique de l’aquifère démontrant le sens d’écoulement des eaux souterraines en direction de la lagune (d’après Garel et al. 2016).
Figure 2 : Représentation graphique des données isotopiques de la molécule d’eau permettant de distinguer deux processus de recharge distincts (d’après Huneau et al. 2016)
Références
Garel, E., Huneau, F., Jaunat, J., Celle-Jeanton, H., Santoni, S., Garrido, M., Pasqualini, V. (2016) : Groundwater role on the ecological preservation of the Biguglia lagoon (Corsica, France). 35th International Geological Congress, Cape Town, South Africa, 27 August – 4 September 2016.
Huneau F., Garel E., Jaunat J., Robert S., Fox D., Garrido M., Pasqualini V. (2016) : Land use and vulnerability of the coastal aquifer of Biguglia lagoon (Corsica, France). 43rd IAH Congress, Groundwater and society: 60 years of IAH, Montpellier, France, September 25-29th 2016. Abstract n°2355
- Contacts :
Pour échanger plus longuement au sujet de la lagune de Biguglia et des eaux souterraines de la plaine de la Marana, merci de prendre contact avec :
– Mélanie Erostate, doctorante en hydrogéologie, Université de Corse, UMR CNRS SPE 6134 : [email protected]
– Frédéric Huneau, Professeur d’hydrogéologie, Université de Corse, UMR CNRS SPE 6134 : [email protected]
– Emilie Garel, Maître de conférences, Université de Corse, UMR CNRS SPE 6134 : [email protected]
Laboratoire d’Hydrogéologie, UMR CNRS SPE 6134
Département des Sciences de la Terre, FST
Université de Corse Pasquale Paoli
Campus Grimaldi, Bt 018
20250 Corte, France